Nous vous proposons, cette semaine, de visiter deux expositions de photos dont les approches sont à l'opposé l'une de l'autre. D'un côté, 600 photos reliées au reportage journalistique; de l'autre, sept installations qui remettent ladite photographie en question. La première est présentée dans une ancienne brasserie; l'autre dans une ancienne usine de machinerie.

À l'exposition du World Press Photo, présentée au Musée Juste pour rire, sont greffées cinq autres expositions, ce qui porte à environ 600 le nombre de photographies agrandies et exposées comme des tableaux dans les salles immenses de l'ancienne brasserie. On sort de là complètement vidé. C'est l'exposition du World Press qui est la plus intéressante. Elle permet de ramener à la mémoire les principaux événements de l'année 2008 dans toutes sortes de domaines et de constater qu'ainsi va la vie, d'une guerre à l'autre. Et qu'il y a de temps en temps, dans la vie ordinaire, dans le sport, les arts, les découvertes scientifiques, des moments de grâce. C'était aussi le cas de l'exposition de l'année dernière.

 

Mais devant la photo gagnante, on reste songeur. Rien de plus banal que ce cliché montrant un policier dans un appartement en désordre, l'arme pointée comme s'il s'y cachait un terroriste ou un vendeur de drogue. Cette photo d'Anthony Suau, pour le magazine Time, ne se comprend que si on lit le texte qui l'accompagne. Le criminel recherché est, en vérité, une victime de la crise financière aux États-Unis qui n'a plus les moyens de payer ses factures.

Rappelons que l'exposition du World Press Photo est le résultat d'un concours international auquel ont participé quelque 5500 photographes. L'exposition, qui comporte un volet éducatif, fait le tour du monde.

Mille mots en images

Le texte est aussi au coeur de l'installation la plus percutante parmi les six exposées aux Ateliers Jean Brillant, dans une usine de la rue Saint-Jacques Ouest, en plein coeur du quartier Saint-Henri. Il y a là une grosse boîte en acier brillant qui sert de salle de projection à Alfredo Jaar. L'artiste chilien y présente The Sound of Silence, une vidéo de huit minutes constituée à 99% d'un texte écrit avec une vieille machine Remington qui défile lentement, une ligne à la fois, sur l'écran.

Il y raconte l'histoire de Kevin Carter, un Sud-Africain blanc, «nigger lover» qui, après bien des mésaventures, devient photojournaliste de guerre. Il recevra d'ailleurs le prix Pulitzer pour un cliché montrant une petite fille noire, maigre, errant seule dans une sorte de désert, cherchant à fuir un aigle. Qu'est donc devenue la petite fille? On ne le saura pas puisque le journaliste s'est suicidé, emportant son secret avec lui. On verra à peine la photo en question, qui surgit bruyamment, dans un éclair, sur l'écran. Mais on apprend qu'elle a été achetée par Bill Gates et qu'elle se retrouve aujourd'hui dans des archives avec un demi-million d'autres photos choc. L'installation est d'une rare efficacité. On sort de là, ébranlé. Mille mots en images, ça frappe.

Toutes les installations aménagées dans l'ancienne usine qui appartient au sculpteur Jean Brillant sont intéressantes. Ayant recours à la vidéo ou au numérique, les artistes sortent la photographie du cadre et la font marcher. On y retrouve Luc Courchesne, Yveline Loiseur, Pierre Tremblay, Emmanuelle Léonard, Anne Ramsden. Mais l'on retient plus particulièrement une vidéo de Yang Zhenzhong où l'on voit, et entend, une jeune femme qui souffle et dont le souffle semble faire avancer plus rapidement, sur le mur en face, une foule qui déambule dans une rue de Shangaï.

Cette exposition est présentée par le Mois de la photo, qui se déroule actuellement dans une douzaine de lieux à Montréal, de la maison de la culture Frontenac dans l'est de la ville, à cette usine de l'Ouest dont les espaces sont loués par le sculpteur à des manifestations ou organismes culturels. Un endroit à découvrir, pas encore touché par des rénovations coûteuses, qui a conservé son odeur de graisse de moteur.

World Press Photo, jusqu'au 4 octobre au Musée Juste pour rire, 2111, boulevard. Saint-Laurent. Ouvert tous les jours, de 11h à 22h. Entrée, adultes: 12$.

Le Mois de la photo aux ateliers Jean Brillant, 3550, rue Saint-Jacques Ouest, jusqu'au 11 octobre. Ouvert du mercredi au dimanche, de 12h à 17h. Entrée libre.