Ce fut un déménagement colossal, le plus grand de l'histoire du Louvre. Encordées, empaquetées, la Vénus de Milo et la Victoire de Samothrace ont quitté leur palais.

La Joconde s'est réfugiée en province, comme presque tous les tableaux en 1939. Des photographies retracent cette évacuation qui a permis de protéger les collections publiques durant la guerre et l'Occupation, tandis qu'en revanche étaient pillées les collections privées d'amateurs d'art juifs.L'exposition Le Louvre pendant la guerre. Regards photographiques 1938-1947 s'ouvre ce jeudi dans l'aile Sully du musée parisien. Elle évoque cette période mouvementée à travers des clichés surprenants, et inédits pour certains.

Des cadres et des piédestaux vides. Un panneau «rauchen verboten» (interdiction de fumer, en allemand). Des marbres antiques entassés en brochettes dans les sous-sols. Une Diane à la biche protégée par un mur de sacs de sable. Un jardin transformé en potager. Les images incongrues ne manquent pas.

«C'est assez curieux pour nous à imaginer, mais il n'y avait aucun tableau d'exposé», souligne dans un entretien à l'Associated Press le commissaire de l'exposition, Guillaume Fonkenell. «Le Louvre sans tableaux, c'est un peu bizarre. Et les oeuvres majeures de la sculpture étaient parties. Tant et si bien que les Allemands parfois ont demandé à ce que (...) le moulage de la Vénus de Milo soit exposé à la place de l'original», raconte ce responsable de l'histoire du Louvre.

L'exode artistique avait en effet commencé avant même la déclaration de guerre. «Le principe, c'est qu'il faut toujours que les oeuvres soient éloignées des zones de combat et des centres stratégiques», explique Guillaume Fonkenell.

Rien ne l'illustre mieux que le périple de La Joconde.

Dès le 28 août 1939, avant la déclaration de guerre du 3 septembre, le tableau de Léonard de Vinci quitte Paris pour le château de Chambord. Lorsque l'armée allemande se rapproche des châteaux de la Loire, les oeuvres sont éloignées. Mona Lisa loge alors au château de Louvigny (Sarthe) puis à l'abbaye de Loc-Dieu (Aveyron), qui s'avère trop humide.

En octobre 1940, elle migre avec de nombreuses autres toiles au musée Ingres de Montauban. Quand l'Allemagne occupe la «zone libre» en 1942, les oeuvres sont dispersées dans des dépÈts isolés. La Joconde arrive en mars 1943 au discret château de Montal (Lot) pour ne retrouver son palais parisien qu'en juin 1945.

Dès juin 1940, les autorités allemandes connaissent les sites de dépôt. Elles savent par exemple que toutes les statues antiques se trouvent au château de Valençay. Toutefois, elles n'ont pas forcément le détail de la localisation de chaque oeuvre.

Sur ordre de Joseph Goebbels, qui souhaite que Paris retrouve une vie culturelle, le Louvre rouvre ses portes dès octobre 1940. L'entrée est gratuite pour les Allemands, payante pour les Français.

Les quelques oeuvres qui étaient restées sur place - car jugées trop lourdes, trop fragiles ou de trop faible valeur pour être évacuées - sont remontées des sous-sols pour être exposées. Le comte Franz Wolff-Metternich, du Kunstschutz (service de protection des oeuvres d'art de la Wehrmacht), exclut tout retour à Paris des tableaux et sculptures conservés en province, considérant que la situation «n'est pas suffisamment stabilisée (...) pour que les oeuvres reviennent sans risque».

Le régime nazi n'a pas pillé les collections publiques, tentant néanmoins de mettre la main sur quelques oeuvres au prétexte d'échanges. Cependant, les conservateurs français ont su faire obstruction. Lorsque le ministre des Affaires étrangères, Joachim von Ribbentrop, a réclamé la Diane sortant du bain de Boucher, ils ont exigé huit Watteau en contrepartie. «Ils ont demandé des oeuvres dont ils savaient que les Allemands allaient les refuser», remarque Guillaume Fonkenell.

Les collections privées, en revanche, ne sont pas épargnées. Entre 1940 et 1943, l'ERR (état-major du dirigeant nazi Alfred Rosenberg) utilisera trois salles du Louvre pour faire l'inventaire des oeuvres volées aux amateurs juifs, qui seront ensuite expédiées en Allemagne.

______________________________________________________________________________________________

Le Louvre pendant la guerre. Regards photographiques 1938-1947, musée du Louvre, aile Sully, du 7 mai au 31 août 2009.