À la veille de la Semaine sainte, une visite au Château Dufresne lève le voile, noir, sur le patrimoine funéraire québécois. Un héritage plus vivant qu'on ne le croit. Un miroir de nous-mêmes.

«Bière, catafalque, cénotaphe, viatique, enfeu, épitaphe, translation...» ce sont des mots qui entourent les morts et qui, dans certains cas, les enterrent. Pour en connaître la signification, il y a les dictionnaires. Mais ces jours-ci, il y a mieux, il y a plus vivant. Le Château Dufresne présente une exposition qui met en valeur le patrimoine funéraire québécois. On s'attend à ce que cela se fasse exclusivement sous forme de photos - on imagine mal en effet que l'on puisse «translater» les tombes du cimetière Notre-Dame-des-Neiges aux sous-sols de la maison des Dufresne...

Mais le petit musée de la rue Sherbrooke est quand même parvenu à faire sortir du cimetière «ad sanctos» de l'église de Saint-Roch-des-Aulnaies quelques stèles en bois, croix aux bras ouverts qui, hors contexte, provoquent une certaine émotion chez les visiteurs. Il faut savoir - le musée nous l'apprend - que les cimetières «ad sanctos» sont les cimetières aménagés au XVIIIe siècle dans les sous-sols des églises. Celui de Saint-Roch représente 232 personnes qui se sont fait enterrer là pour être plus près de Dieu.

Aux photos et textes qui balisent le parcours de cette exposition originale, s'ajoutent ainsi des pièces saisissantes: un sarcophage de bébé, une Pleureuse en bois peint en blanc de Jean-Baptiste Côté et d'autres ouvrages sculptés par de grands artistes (Jobin, Hébert, Laliberté), de même que des oeuvres d'art funéraire naïves.

On croise sur notre chemin un corbillard hippomobile, une chambre de mourant reconstituée (on mourait et on était exposé dans sa chambre avant l'invention des salons mortuaires qui se multiplieront après la Deuxième Guerre).

On apprend, devant cette chambre, que les morts s'en allaient tout habillés, mais ne gardaient pas leurs souliers «car la croyance veut qu'ils soient trop bruyants pour entrer au paradis». On peut voir aussi le matériel pour le «viatique»: pyxide, ampoule d'eau bénite, crucifix...

Leçons d'histoire

Le patrimoine funéraire, un héritage pour les vivants raconte l'histoire des cimetières au Québec, leur évolution. Elle montre les différences entre les cimetières catholiques et protestants, mais aussi juifs.

Les deux grands cimetières catholiques de Montréal y ont une place de choix, le cimetière Notre-Dame-des-Neiges, fondé en 1854, où plus de 900 000 personnes sont enterrées, et le cimetière moins connu de l'est de Montréal, le Repos Saint-François d'Assise, ouvert en 1916, où dorment 250 000 personnes dont une grande proportion de Québécois d'origine italienne.

Le seul problème de cette exposition, c'est qu'on en fait vite le tour, on en voudrait encore. Il est facile de compléter cette visite par une autre au cimetière Saint-François d'Assise pas très loin du Château Dufresne. Ou encore par une visite aux deux cimetières catholique et protestant du mont Royal, là où les caractères distincts des deux sociétés sont les plus évidents, même si l'influence anglaise se fait sentir sur l'aménagement des lieux catholiques. On peut aussi assister à la série de conférences qui seront données au fil des prochaines semaines sur les rites funéraires des grandes religions.

Et comme l'exposition est inspirée d'un album très documenté, autant par les photos de François Brault que par les textes sous la direction de Jean Simard - l'idéal bien sûr, est de poursuivre par la lecture de Cimetières - Patrimoine pour les vivants (éditions GID). Ce voyage dure plus longtemps mais coûte plus cher: 84$. Un ouvrage par ailleurs fascinant qui reprend l'histoire des cimetières depuis l'Antiquité, jusqu'aux cimetières québécois d'aujourd'hui, en passant par toutes sortes de considérations sociales, culturelles, ethnologiques, artistiques et même hygiéniques.

Le patrimoine funéraire, un héritage pour les vivants, jusqu'au 30 août au Château Dufresne (2929, avenue Jeanne-d'Arc); ouvert du mercredi au dimanche, de 10h à 17h.