Bernini (1598-1680), dit Le Bernin, architecte, sculpteur, peintre et dramaturge, fut un artiste immense. Le «dictateur artistique de Rome» a laissé de nombreuses traces dans la sainte ville que l'on peut difficilement sortir du pays - colonnades, fontaines, chapelles... Mais il a fait aussi des portraits sculptés et dessinés. Il y en a une cinquantaine, de lui et de ses contemporains, au Musée des beaux-arts du Canada. C'est la première fois qu'autant d'oeuvres du Bernin et de ses amis sont ainsi réunies.

Parmi tous les bustes exposés au musée d'Ottawa, bustes de papes, de cardinaux, de nobles, et même de Louis XIV, il en est un qui est l'exception et qui retient particulièrement l'attention. Le buste tout blanc, et troublant, d'une femme. Elle a la bouche entrouverte, les cheveux un peu défaits. Sa robe tombe de son épaule et laisse voir le début d'un sein. C'est un portrait très intimiste, le seul que Gian Lorenzo Bernini ait sculpté pour son propre plaisir; les autres sont des commandes (sept papes se sont succédé du vivant du Bernin).

 

Le portrait de marbre qui attire autant d'attention est celui de la maîtresse de Gian Lorenzo, Constanza Bonarelli, déjà mariée à un autre sculpteur et qui a eu le malheur de tromper son amant avec un deuxième Bernini, Luigi, le frère du premier. L'audioguide (très utile dans une exposition de ce genre) raconte comment Gian Lorenzo s'est vengé. Il a fait lacérer le visage de la belle par son serviteur et a failli tuer son frère.

Et c'est alors que la protection papale a été en quelque sorte divine pour Bernini. «Un homme exceptionnel, a dit le pape, au génie sublime, né de la volonté divine de glorifier Rome...» Il a été condamné à payer une amende et le pape Urbain VIII, son principal mécène, lui a ordonné d'épouser Caterina Tezio, avec laquelle le sculpteur aura onze enfants. Quant à Constanza et au serviteur, ils ont été, l'une emprisonnée pour adultère, l'autre incarcéré pour agression. Luigi a été banni de Rome. Et le buste de marbre, lui, relégué aux oubliettes.

Baroque, vous avez dit baroque?

Le titre de cette exposition exceptionnelle organisée conjointement avec le Getty Museum de Los Angeles est long: Bernini et la naissance du portrait sculpté de style baroque. Baroque, pour la plupart d'entre nous évoque extravagance, surcharge, volutes et circonvolutions. Mais les portraits sculptés par Bernini et ses contemporains ne souffrent pas d'autant d'emphase. On est plutôt frappé par la vie qui se dégage de ces têtes de marbre, par le réalisme de l'exécution, un réalisme tel que l'on voit les marques laissées par l'acné chez certains modèles, par les plis provoqués par l'embonpoint chez d'autres. Quelques têtes ont la bouche ouverte comme si elles allaient se mettre à parler. On peut même reconnaître les tissus des vêtements: fourrure, soie, coton, dentelle... Sans connaître vraiment les modèles, on devine le tempérament qu'ils ont. Et quand on pense à la matière utilisée - surtout le marbre mais aussi le porphyre - on reste ébahi devant tant de chefs-d'oeuvre.

Or, lit-on sur le mur d'une salle du musée, le baroque n'est pas tant un style qu'un endroit et une période: la Rome du XVIIe siècle où se côtoient divers courants, dont l'un, très important, est le naturalisme. Le Caravage, en peinture, est un représentant de ce courant. Et Le Bernin dans ses portraits sculptés.

Dans ses portraits dessinés réservés à ses amis, Le Bernin est tout aussi exceptionnel, cette fois dans la sobriété de son travail. Un minimum de moyens et de couleurs pour exprimer l'essentiel, la personne derrière le visage. Ce sont des portraits intimistes qui cherchent à rendre l'âme des modèles.

L'exposition du musée se termine par un docudrame de la BBC, d'une cinquantaine de minutes, sur la vie et l'oeuvre de Bernini aussi appelé Le Cavalier. On y voit un homme de pouvoir et colérique, que l'ambition mènera au sommet puis à la déchéance.

Le cardinal Cornaro ramènera Le Bernin au sommet en lui commandant une chapelle dédiée à sainte Thérèse d'Avila. Pour beaucoup d'historiens, cette chapelle est le chef-d'oeuvre de Bernini. L'analyse qu'en fait le narrateur du documentaire est impressionnante. Pour exprimer l'extase vécue par la religieuse, Bernini se serait servi de ce qu'il connaissait de l'extase au féminin, l'élévation par l'orgasme. Même les plis de la robe auraient une signification érotique. La chapelle Cornaro, à la fois oeuvre d'architecture, de design et de sculpture, dans sa mise en scène dramatique, ramènera sur Bernini les grâces papales et divines.

Bernini et la naissance du portrait sculpté de style baroque, jusqu'au 8 mars 2009 au Musée des beaux-arts du Canada, 380, Promenade Sussex, Ottawa. Ouvert du mardi au dimanche, de 10h à 17h et le jeudi, jusqu'à 20h. Fermé le 25 décembre et le 1er janvier. Entrée: 15$ (adultes).

 

Baroque montréalais

Avant d'aller à Ottawa, une petite visite à la cathédrale Marie-Reine-du-Monde, au coeur de Montréal, près du square Dominion, peut être utile. Non seulement l'église, construite à la fin du XIXe siècle, est-elle un modèle réduit de la basilique Saint-Pierre de Rome, mais on y trouve une réplique du «Baldaquin» qu'a réalisé Le Bernin pour l'église romaine. Voilà qui donne une idée de ce qu'est l'art baroque comme on l'entend habituellement: des colonnes torsadées portant des rayures dorées sur lesquelles grimpent des vignes en or jusqu'au sommet où des anges montent la garde tandis que se poursuivent et se croisent des circonvolutions extravagantes pour enfin se terminer par une croix sur un globe. Il faudrait 20 pages pour décrire en détail les motifs accumulés sur un tel monument. Il y a là de quoi méditer de longues heures dans le silence de la cathédrale.