La prestigieuse Society of Illustrators de New York présentera, du 4 au 31 décembre, une rétrospective de 140 oeuvres de l'illustrateur québécois Pol Turgeon. Il s'agit de la toute première présentation solo d'un artiste d'ici au Museum of American Illustration.

Parlant d'illustration, on peut bien se permettre quelques clichés: une image vaut mille mots et nul n'est prophète en son pays. Dans le cas de Pol Turgeon, ils sont tous vrais. Et pour résumer, ajoutons que l'homme est une pointure internationale.

 

Jugez seulement: plus d'une centaine de prix en 30 ans. Présent dans les grands répertoires de design et d'illustration, il déploie son oeuvre, inspirée de mystère et de magie, sur plusieurs supports: jouets, création d'environnement visuel, publicité de Sony en Espagne... mais une seule exposition à Montréal. Depuis quelques années, il ne travaille pratiquement qu'aux États-Unis.

«Les directeurs artistiques qui commandent des illustrations changent vite. Ça ne me surprendrait pas que plusieurs ne me connaissent pas. D'autres doivent se dire que je suis cher parce que je travaille aux États-Unis. Quand je vois que le projet est intéressant et qu'il s'agit d'une bonne cause, j'embarque, peu importe le budget», dit-il pour expliquer sa quasi-absence de la scène montréalaise.

L'exposition de ses oeuvres prendra deux étages du Museum of American Illustrators de New York. L'artiste a sélectionné des illustrations parmi une trentaine de projets auxquels il a participé dans sa carrière. Chacun des projets est mis en contexte, avec textes et esquisses.

L'autre partie de la présentation comprend ce que Pol Turgeon appelle sa «production personnelle», des portraits réalisés pour un spectacle de danse présenté à la SAT cette année.

«En illustration, il faut contrôler le message. On règle un problème. L'illustrateur doit savoir ce qu'il dit et prendre le moyen le plus efficace pour le dire. Dans ma production personnelle, je fais le contraire. Je me repose de l'illustration. Il y a autant de messages que de spectateurs», explique l'artiste de 49 ans.

Un art, l'illustration? Dans sa créativité à véhiculer des messages clairs, dans sa capacité de saisir l'air du temps et le rendre intelligible, d'expliquer succinctement des réalités complexes, oui.

«L'illustration digère et rend sous une autre forme ce qui s'est fait en art contemporain quelques années plus tôt. Le monde de l'illustration, comme celui du design, est une éponge qui nous recrache le monde», croit-il.

Ses inspirations? Il dit consommer beaucoup d'illustrations, mais ne manque aucune occasion de visiter galeries et musées.

«Je ne sais pas si ça paraît dans mon travail, mais Francis Bacon me passionne. J'aime aussi beaucoup Lucian Freud, c'est un génie total. Les rêves me servent aussi.»

S'exprimer autrement

Après 15 ans de pratique en illustration, à mi-parcours de carrière, Pol Turgeon a toutefois senti l'appel. Quelque chose en lui lui faisait signe qu'il fallait prendre le temps de s'exprimer autrement.

«J'arrivais à m'éclater complètement en illustration, mais il est venu un moment où j'ai eu des envies plus spécifiques pour dire des choses. C'était important de développer ma pratique personnelle. Sinon, j'aurais pu entretenir quelques frustrations», dit-il.

Il s'est ainsi mis à explorer, notamment, le corps humain, à travers des aspects comme la mort ou la sexualité, qui restent rebutants pour certains.

«Je ne peux pas toucher ces thèmes en illustration aux États-Unis, note-t-il, parce que ce serait censuré automatiquement. Même si les Américains font une consommation hallucinante de pornographie, on ne peut pas montrer un sein dans une illustration là-bas.»

Chargé de cours à l'UQAM, l'artiste souhaite continuer de faire de l'illustration, un métier qu'il adore, mais il veut élargir sa palette davantage.

«Je sais que je vais travailler encore en danse, dit-il. Dans l'exposition à New York, il y a des prototypes de jouets. C'est sûr que je vais travailler de plus en plus pour faire vivre mes illustrations en trois dimensions. J'apprends encore dans ce métier. Quand j'ai beaucoup creusé et trouvé quelque chose, j'ai besoin de l'appliquer à d'autres formes d'expression artistique.»