À la recherche du nouveau prodige en art visuel? Oubliez New York, Londres, Venise ou Paris. C'est à Pékin que ça se passe. Depuis une quinzaine d'années, les galeries avant-gardistes s'y sont multipliées et les collectionneurs occidentaux s'y sont rués, toujours prêts à payer plus pour dénicher «L'oeuvre» que l'histoire de l'art retiendra. Quitte à en surévaluer la qualité artistique.

Trois décennies après la mort de Mao, la Chine connaît une nouvelle révolution culturelle. Mais cette fois, les artistes dissidents ne sont ni expulsés ni emprisonnés comme c'était le cas sous le grand timonier. Cette fois, les peintres, photographes et sculpteurs sont plutôt récupérés et mis en avant par le Parti communiste chinois. Et pour cause: cela rapporte beaucoup.

 

En 2006 et 2007, la vente des oeuvres des 30 artistes chinois les plus cotés a atteint quelque 420 millions de dollars. Une hausse de 78 %. Si bien que, cette année, la Chine a ravi à la France la troisième place sur le marché mondial de l'art, selon l'agence de presse spécialisée Art Market Insight. Juste derrière les États-Unis et le Royaume-Uni.

Et les oeuvres des artistes contemporains chinois se négocient toujours plus cher. Entre 2001 et 2007, leur cote a explosé de 780 %, toujours selon Art Market Insight.

Zhang Xiaogang incarne sans doute le mieux cette envolée des prix. En 1998, il vendait pour la première fois une de ses toiles chez Christie's. Somme de l'enchère: à peine 10 000 $. En novembre 2007, désormais orné du titre de figure de proue de la peinture contemporaine chinoise, son tableau Family Portrait s'adjugeait 4,4 millions de dollars.

De quoi donner des idées à ceux qui maîtrisent aussi bien l'art contemporain que celui de la spéculation. Aux États-Unis et en Europe, les riches collectionneurs scrutent les futurs grands noms chinois et s'arrachent leurs toiles en espérant les revendre au prix fort. «Ils sont convaincus que d'ici peu, les nouveaux millionnaires chinois vont vouloir rapatrier leur patrimoine national en Chine», raconte, un brin dubitatif, Marc Mayer, directeur du Musée d'art contemporain de Montréal.

Mais ce mouvement de spéculation n'a pas lieu qu'à New York ou Paris. Un collectionneur fortuné de Montréal a confié à La Presse avoir récemment créé un «fonds d'investissement sur l'art contemporain chinois» avec quelques-uns des plus grands patrons québécois.

En tout, ces riches entrepreneurs québécois ont mis sur la table 2 millions de dollars. «Mais finalement, je pense que c'était une erreur, il était trop tard. On ne peut plus acquérir d'oeuvres de grande qualité, comme un Xiaogang, à bas prix», dit l'homme.

Le critique d'art Michel Nuridsany, auteur de L'art contemporain chinois, observe avec intérêt toute la spéculation qui entoure l'art contemporain chinois. Selon lui, ceux qui sont intéressés à gagner de l'argent ainsi devraient «acheter vite et revendre très vite les oeuvres car le marché va s'effondrer».

«On ne spécule pas trop, mais on spécule mal», tranche celui qui se rend en Chine tous les trois mois. Pour lui, comme pour une majorité de critiques, l'art contemporain chinois n'en serait qu'à ses balbutiements et la qualité de certaines oeuvres serait franchement surévaluée.

Il y a bien eu le groupe des Étoiles, de jeunes artistes - dont certains sont aujourd'hui célèbres - qui, en accrochant illégalement 150 étoiles sur les grilles du Musée des beaux-arts de Pékin en 1979, ont été les précurseurs de l'art contemporain chinois. Mais le renouveau culturel a vraiment débuté au milieu des années 90, après que le pouvoir central eut assoupli certains droits ainsi que l'économie.

La critique était peu à peu tolérée, surtout que le message dans les arts visuels est davantage suggéré qu'énoncé clairement, remarque Rhéal Olivier Lanthier, codirecteur de la galerie Art Mûr à Montréal.

Du 15 novembre au 20 décembre, la galerie de M. Lanthier va exposer des photos et des sculptures créées par les Frères Gao, des artistes à la renommée désormais internationale et dont certaines oeuvres se monnayent près de 10 0000$. Les oeuvres des Frères Gao pastichent régulièrement Mao. Par exemple les «Miss Mao», des statues de femme à taille réelle ornées du visage de l'ancien dictateur. Art Mûr exposera une «Miss Mao» en train d'accoucher d'un dragon...

Cette parodie du grand timonier est un classique dans l'art contemporain chinois. On parle même du courant du «pop politique» ou «pop art post-maoïste»... une recette à succès, que certains petits malins s'amusent à reproduire à l'infini sans rien de très nouveau artistiquement.

«C'est sûr que les artistes qui ont vendu leurs oeuvres à l'international ont compris ce qui marchait bien. Mais comme tout mouvement, après un certain temps, ça s'épuise», dit Isabelle Geoffroy, qui rédige actuellement sa thèse sur l'art contemporain chinois, à l'UQAM.

«Aujourd'hui, beaucoup d'artistes chinois se questionnent. Ils disent que ce qu'ils produisent pour le marché international n'est pas représentatif de leur identité...» poursuit Mme Geoffroy. Les artistes chinois cessent peu à peu de s'inspirer des courants européens et américains. Pour davantage puiser dans leurs traditions et, qui sait, imposer au monde un nouvel ordre esthétique.