Émilie Perreault animera dès le 5 septembre, de 13 h 30 à 15 h, la nouvelle émission culturelle quotidienne d’ICI Radio-Canada Première. Autrice des livres Faire œuvre utile et Service essentiel (Éditions Cardinal) sur les bénéfices de l’art sur la santé, l’animatrice télé a été longtemps chroniqueuse culturelle à Puisqu’il faut se lever, au 98,5 FM. Entrevue avec une touche-à-tout prête à plonger.

Marc Cassivi : Comment cette occasion s’est-elle présentée ?

Émilie Perreault : Ce n’était pas du tout sur ma ligne d’horizon. On va tourner la cinquième saison de Cette année-là [émission culturelle animée par Marc Labrèche à Télé-Québec], L’avenir nous appartient [qu’elle coanime avec Monic Néron, aussi à Télé-Québec] en est à sa troisième saison. Ce n’était pas du tout dans les plans, mais on m’a proposé de faire un test micro, j’y suis allée spontanément, et ma vision leur a plu. J’ai eu besoin d’un temps de réflexion avant d’accepter, parce que je connais la charge de travail d’une quotidienne. Je l’ai fait pendant six ans avec Paul Arcand. Mais je n’ai pas hésité longtemps. C’est le créneau culturel. Ça ne se représentera probablement pas avant un bon bout de temps. Pour la petite Émilie de 17 ans, qui rêvait de ça quand elle a commencé à étudier en radio, je ne pouvais pas refuser.

M. C. : Tu dis que ta vision a plu à Radio-Canada. Est-ce qu’on peut imaginer que ça va ressembler un peu à [la série documentaire] Faire œuvre utile, une émission hybride société et culture ?

É. P. : Tout est embryonnaire. C’est sûr que ce que je fais depuis Faire œuvre utile ou avec Service essentiel, c’est vraiment ma seconde nature. Dans un souper entre amis, je suis celle qui recommande des livres ou des podcasts. Quand je sors du théâtre, la première chose que je fais, c’est appeler quelqu’un. Je suis incapable de garder ça pour moi ! C’est ce que j’ai envie de recréer. J’ai envie de m’entourer de gens qui sont contagieux, qui sont des passeurs, des gens de tous les horizons parce que ça concerne tout le monde. Donc, oui, on va parler de livres, c’est sûr, mais l’art vivant est aussi très important pour moi. J’ai envie qu’on puisse faire vivre la culture le plus possible aux gens. J’aime sortir la culture de son ministère. Avec Service essentiel, c’était ça : on pouvait parler de santé ou d’économie. J’ai surtout envie que ce soit dans la joie. C’est vraiment ça, le mantra qu’on s’est donné, avec la réalisatrice Sylvie Lavoie.

M. C. : On parle d’« une tribune pour faire rayonner les auteurs et les artistes d’ici, de même que la culture à travers les mots, pour la célébrer, lui donner un sens et en parler, quelle que soit sa forme ».

É. P. : Ce qui est beau dans l’approche de Radio-Canada, c’est de laisser les équipes bâtir leurs émissions. Marie-Louise [Arsenault] a pu créer Plus on est de fous, plus on lit ! C’était son idée. C’est pour ça que c’était impossible de la remplacer. C’est tellement collé à elle. Ce que j’entends, c’est qu’on va me permettre de créer mon émission à partir de mes couleurs. Après, ça prend du temps. Les patrons de Radio-Canada en sont conscients, et je suis contente de l’entendre. Il va falloir que je m’installe. Je n’ai jamais été à la radio de Radio-Canada. J’ai fait des chroniques ici et là…

Photo Martin Chamberland, archives LA PRESSE

Marie-Louise Arsenault

M. C. : Mais tu n’as jamais animé une émission…

É. P. : Non. Ce que je retrouve, c’est la joie de retrouver un micro. Il y a encore des auditeurs de Paul Arcand qui m’écrivent alors que ça fait quatre ans que je ne fais plus la chronique culturelle. On fait partie de la vie des auditeurs. Récemment, il y a une dame qui m’a envoyé la programmation du Théâtre du Vieux-Terrebonne pour que je choisisse pour elle les pièces à voir ! (Rires)

M. C. : Tu parlais de Plus on est de fous et de Marie-Louise. Dans la courte réflexion qui a précédé ta décision, est-ce qu’il y avait la crainte de devoir succéder à une émission marquante qui a été en ondes pendant une décennie ? Il y en aura certainement qui diront que c’était mieux avant…

É. P. : Il y en a toujours et partout. C’est vrai que ça fait peur à certains. Probablement que certaines personnes, qui auraient très bien pu animer cette émission, ont choisi de ne pas y aller. Je comprends qu’effectivement, il y a des gens que ça a pu rebuter. Je ne veux pas dire que je n’ai pas peur de la comparaison, mais en même temps, je pense que dans la vie, ça prend un petit peu d’insouciance, sinon on ne fait jamais rien. Je vais m’appuyer là-dessus. Je ne peux pas concurrencer la charge d’amour qu’avait Marie-Louise de ses auditeurs. Elle existe. Il va y avoir un deuil. Il n’y a rien qu’on puisse faire pour l’empêcher. Après, je peux arriver de façon très sincère et faire de mon mieux. C’est peut-être plus facile parce que je ne suis pas à l’interne. C’est possible qu’à l’interne, cette aura soit plus forte. Je n’ai pas de syndrome de l’imposteur, mais je suis tout à fait consciente qu’il y a beaucoup de gens qui vont s’ennuyer de Plus on est de fous, plus on lit ! Je pense qu’on va en reparler pendant des années. Ça prend quelqu’un qui arrive après… (Rires)

M. C. : Ce qui m’a étonné dans le communiqué de Radio-Canada, c’est que l’on insiste autant sur la littérature, les livres, les mots, parce qu’au départ, on annonçait simplement un « nouveau créneau culturel ». J’en avais conclu que ce ne serait pas qu’une émission littéraire. C’est toi qui as insisté là-dessus ou c’est un réajustement de la chaîne à la réaction suscitée par la fin de Plus on est de fous ?

É. P. : Je pense qu’on a senti le besoin de rassurer. Parce qu’il y a vraiment des craintes qui ont été formulées. Il y a des gens qui ont dit : « Oh ! mon Dieu ! C’est la fin de la littérature à Radio-Canada ! » J’ai l’impression que les mots qui ont été choisis — ce n’est pas moi qui ai écrit le communiqué ! — visent à rassurer les gens. Donc, oui, il va y avoir des livres, mais ce ne sera pas une émission que littéraire. C’est sûr que tous les jours, il va y avoir des auteurs et des autrices. C’est clair. Mais pour moi, c’est important aussi qu’on puisse parler de théâtre et élargir à d’autres formes d’art. C’est vraiment pour dire qu’on ne tourne pas le dos — on ne tourne pas la page, pour faire un mauvais jeu de mots — à la littérature. On voulait s’assurer que le milieu littéraire soit conscient qu’il va aussi faire partie de la fête. J’ai eu de gros coups de cœur littéraires dans les derniers mois. Les auteurs, je n’ai pas seulement envie qu’on fasse des critiques de leurs livres, mais qu’on les entende.

Photo Philippe Boivin, LA PRESSE

Émilie Perreault

M. C. : Je disais ça aussi parce que la perception qu’on a de toi, c’est que tu es une généraliste, une touche-à-tout qui aime la culture de façon très large…

É. P. : Oui. Mon mantra, quand j’étais avec Paul, c’était « le bon spectacle pour la bonne personne ». J’aime autant Les Cowboys fringants que Robert Lepage. Je ne vois pas pourquoi il faudrait que j’aime juste le théâtre ou juste Les Cowboys fringants. Tout ça peut cohabiter. Les gens sont multiples. Mais s’il y a une chose que j’ai apprise en côtoyant Paul Arcand particulièrement, c’est que la personne que tu es au micro est la personne que tu es en dehors des ondes. Ton authenticité, les gens la ressentent.

M. C. : Tu l’as dit, le projet est embryonnaire. Mais est-ce qu’il y a déjà des collaborateurs que tu as dans ta ligne de mire ?

É. P. : Ça fait partie de ma réflexion en ce moment. Je pense que la radio est un médium d’habitudes et que c’est gagnant d’avoir des collaborateurs réguliers. En même temps, j’ai envie de parler à tout le monde, alors on verra bien ! (Rires) J’ai envie de créer un espace pour voir pousser de nouvelles voix. Simon Boulerice s’est fait connaître parce que quelqu’un lui a donné sa chance. Je suis très sensible à ça. J’ai envie aussi d’aller chercher des gens qui ne sont pas juste à Montréal. On ne soupçonne pas les endroits d’où les gens nous écoutent. Il y a un artiste à Saint-Élie [où Émilie Perreault a une maison de campagne] qui m’a dit qu’il allait m’écouter dans son atelier. Mon père est camionneur et il m’a dit qu’il changerait son horaire pour m’écouter sur la route ! Quand j’avais 17 ans, je travaillais à la Coop du cégep et j’écoutais Fréquence libre [animée par Monique Giroux]. J’ai hâte de retrouver ce contact quotidien avec les gens.