(New York) Les diplomates et les employés des Nations unies ne pourront y échapper : jusqu’au 17 juin prochain, ils traverseront à pied une partie de l’œuvre écrite et dessinée de Dany Laferrière en allant et venant dans cet édifice où aboutissent tous les drames de la communauté internationale.

Selon l’écrivain, ils en ressortiront « en sifflotant » après avoir réalisé que des gens continuent à créer « au cœur de ces désastres ». Il s’agira d’un rare dossier à leur apporter un « vent de fraîcheur ».

« Je crois en fait que c’est le dossier le plus joyeux qu’on ait jamais présenté à l’ONU », a déclaré Dany Laferrière, peu avant de se rendre au siège de l’organisation internationale à New York, où s’est déroulé lundi soir le vernissage de l’exposition Un cœur nomade, qui raconte la vie de l’artiste.

« Et ce dossier dit ceci : l’art est au cœur de toute transformation humaine. Si on ne pense pas cela, on n’y arrivera jamais. Les négociations, les chiffres, les documents, les enquêtes, les études ne sont importants que si on tient compte que les gens ont des sentiments, des émotions. Et voici en couleur, en écriture, en poésie et en réflexion le dossier de cette région du monde où l’on croit que les choses sont jouées, où l’on croit que tout est perdu. »

Bref, si les diplomates onusiens parviennent à trouver des solutions à des problèmes quasi irréductibles ces prochains jours, Un cœur nomade y sera peut-être pour quelque chose.

L’exposition a vu le jour en 2020 dans le Quartier des spectacles de Montréal, à l’occasion des 35 ans de carrière de Dany Laferrière. Composée dans sa version originale de sept tableaux distincts, elle s’inspire de trois romans illustrés de Dany Laferrière et retrace sa vie, de son enfance en Haïti à l’Académie française à Paris, en passant par ses années à Montréal et à Miami.

Après Montréal, Un cœur nomade s’est mis à voyager, d’abord à Francfort, où l’exposition a connu un grand succès en 2021 pendant la Foire du livre de cette ville allemande, alors que le Canada était l’invité d’honneur, puis à Tunis et enfin à Dubaï.

Composée de cinq tableaux, la version de l’exposition présentée à l’ONU est le résultat d’une collaboration des représentants diplomatiques du Québec et du Canada à New York, ainsi que de l’Organisation internationale de la Francophonie.

PHOTO RICHARD HÉTU, COLLABORATION SPÉCIALE

Dany Laferrière au vernissage de son exposition à l’ONU

« Très émouvant »

« C’est très touchant et émouvant de penser que chaque matin, en entrant travailler, les délégués de différents pays vont traverser l’œuvre d’un Québécois d’origine haïtienne », a déclaré Martine Hébert, déléguée générale du Québec à New York. « Ça vient encore une fois marquer l’importance de l’empreinte du Québec dans la ville de New York. »

La diplomate d’origine congolaise Nelly Okonco a été touchée et émue lundi soir devant le texte et le dessin de Dany Laferrière qui « imagine [sa] mère tourner le dos à la réalité pour s’enfoncer dans le rêve » après l’exil de son père.

Ça fait remonter beaucoup de souvenirs et de mélancolie. J’ai connu ça très tôt, cette séparation avec ma mère. Et je l’imagine aussi tourner le dos à la réalité pour s’enfoncer dans le rêve.

Nelly Okoncom, diplomate d’origine congolaise

Dany Laferrière, lui, rêve de voir Un cœur nomade continuer à voyager. À Miami, à Paris et, pourquoi pas, à Port-au-Prince. Il voit l’aventure de cette exposition comme un « cadeau ». Et aussi, faut-il le croire, comme une récompense pour son obstination à créer des romans illustrés.

« Je ne veux pas me comparer à Dylan, mais je pensais un peu à lui quand les gens, au début, n’acceptaient pas cette manière, a-t-il dit. Pourquoi ne continues-tu pas à écrire des livres comme avant ? On avait aussi attaqué Dylan quand il était passé de la guitare sèche à la guitare électrique. Ce sont les mêmes gens après qui acclament. Il a fallu qu’il s’obstine. C’est ça, je me suis obstiné. J’ai maintenant 6 livres et 1200 pages écrites et dessinées. »