South by Southwest (SXSW) a été l’un des premiers grands rendez-vous culturels annulés, en mars 2020. Deux ans plus tard, c’est l’un des premiers à être présentés dans une formule qu’on oserait dire « normale ». Un court métrage d’un trio de Québec, le groupe Paupière et une œuvre de « réalité étendue » conçue entre autres par Vincent Morisset font partie des dizaines de projets québécois qui tenteront de se faire remarquer dans le brouhaha d’Austin, au Texas.

Belle River

Portrait d’une communauté cadienne du sud de la Louisiane menacée par les eaux, Belle River clôt la trilogie louisianaise des cinéastes Guillaume Fournier, Samuel Matteau et Yannick Nolin. Ce court métrage, qui fait suite à Laissez le bon temps rouler (2017) et Acadiana (2019), trace aussi un parallèle délicat entre la fragilité de ce territoire et celle de la langue française dans ce coin du monde.

Belle River n’a rien pourtant du réquisitoire politique. Il s’agit plutôt d’un film impressionniste. « Ça fait partie du type de cinéma qu’on aime et qu’on a envie de faire : du documentaire un peu plus impressionniste, convient Guillaume Fournier. Il y a un aspect portrait, mais on n’avait pas envie de faire un documentaire informatif. Je pense que c’est très lié au fait que Samuel et moi, surtout, venons plus de la fiction et que notre vision du documentaire est plus hybride. »

Le trio avait envie de laisser parler les gens, mais aussi de dire beaucoup de choses avec la caméra et le montage. « De dire des choses avec le cinéma », résume le cinéaste. D’où cette superbe séquence d’ouverture faite d’images prises à vol d’oiseau qui redescendent lentement au niveau du sol. Ou plutôt au niveau de l’eau, puisque le film montre une communauté aux prises avec des inondations récurrentes.

L’habileté du film tient à sa façon de juxtaposer la menace qui pèse sur le sud de la Louisiane et celle qui menace la survie de la culture acadienne. « Sans dire que c’est un peuple crépusculaire, c’est sûr qu’on avait envie de poser des questions concernant sa fragilité, qui est aussi liée au territoire », acquiesce Guillaume Fournier.

Le trio se réjouit bien sûr d’avoir été sélectionné en compétition à SXSW. Il espère que son film intéressera d’autres programmateurs et peut-être même des chaînes de télé qui auraient envie de faire l’acquisition de Belle River ou, mieux encore, de la trilogie.

Paupière

PHOTO FOURNIE PAR LISBONLUXRECORDS

Le tandem de Paupière : Julia Daigle et Pierre-Luc Bégin

Après une performance lors de l’édition virtuelle de SXSW 2021, Paupière a de nouveau été invité au festival texan cette année. « On est très excités », dit Julia Daigle, moitié du groupe qu’elle forme avec Pierre-Luc Bégin (We Are Wolves). Le tandem se produira trois fois lors du foisonnant évènement où se produiront plus de 1000 groupes d’un peu partout dans le monde.

« Paupière a joué beaucoup à l’extérieur du Canada : on a joué en Corée du Sud, en Italie, aux États-Unis et on va probablement jouer en Slovaquie cet été, si le contexte le permet. La langue n’a jamais été un problème pour nous, parce qu’on a un côté très théâtral sur scène, juge la chanteuse et musicienne, alors je ne suis pas surprise qu’on ait été sélectionné cette année. »

Julia Daigle dit que son collègue et elle sont « très excités » de faire le voyage. « Ça va être notre premier concert en dehors du Canada depuis la pandémie, alors ça semble un peu irréel », dit-elle. Cela dit, la chanteuse modère ses attentes.

« Je pense que c’est mieux de juste penser à performer, d’avoir du plaisir et d’en profiter. Il y a tellement de monde que ça doit être un peu comme une loterie. Je sais que Mac DeMarco s’est fait découvrir dans ce contexte-là. Moi, je vois plutôt notre sélection comme une reconnaissance en soi. »

Paupière, qui donne dans la pop synthétique qu’on peut associer aux pionniers des années 1980 comme Depeche Mode ou ses lointains héritiers comme Ladytron, a choisi de miser sur les claviers parce que c’est ce que Julia Daigle et Pierre-Luc Bégin avaient sous la main quand le projet a commencé. Le duo assume pleinement son côté pop.

« On s’est rendu compte que c’est les mélodies qui vont le plus chercher les gens, dit Julia Daigle, qui assure que les spectateurs étrangers saisissent sans mal leur propos, sans comprendre les mots. Les couleurs de la musique permettent de bien communiquer les histoires. »

Composition

PHOTO VIVIEN GAUMAND, FOURNIE PAR LE CENTRE PHI

Vincent Morisset, l’un des créateurs de l’œuvre-jeu Composition

Un jeu de blocs. Ou peut-être de dés. Ou les deux, fusionnés avec une interface de composition musicale et d’effets visuels. Composition, œuvre collective de Vincent Morisset, Caroline Robert, Édouard Lanctôt-Benoit et Vlooper émanant d’une résidence de création au Centre Phi, brouille volontairement les pistes. En commençant par effacer la frontière entre le réel et le virtuel.

« On superpose une couche de contenu au monde dans lequel on se trouve », résume Vincent Morisset, habitué de SXSW. Il est d’ailleurs fébrile à l’idée d’y retourner. « C’est le premier gros festival post-pandémie, dit-il. Les gens ont hâte de se retrouver et de voir ce qui s’est fait dans le milieu au cours des deux dernières années. »

Composition, l’œuvre qu’il accompagne cette fois-ci, se présente comme une table sur laquelle sont posés des cubes de bois avec des visages sculptés sur chacune des faces, que les spectateurs – on a envie de dire les joueurs – sont invités à empiler, déplacer ou même lancer. « Selon la façon dont on les déplace sur la table, les animations prennent vie : il y a de la lumière qui émane de la table et la trame sonore se transforme. »

Le créateur en parle comme d’un théâtre miniature, d’un jeu de sculpture, d’une interface de composition musicale, bref, comme d’une œuvre de réalité étendue inclassable, qui donne selon lui un avant-goût de la façon dont ce genre de technologie va évoluer. « Mais c’est très ludique », insiste-t-il. Est-ce que les spectateurs de Composition ne seraient pas plutôt des joueurs ? « La ligne est fine, admet Vincent Morisset, mais ce qui est sûr, c’est qu’ils sont clairement des protagonistes de l’expérience. »