La politique est aussi affaire de perception. L’image de bon père de famille de François Legault sera probablement suffisante pour le faire réélire, peu importe sa gestion réelle de la crise sanitaire d’ici les prochaines élections.

Le premier ministre projette aussi l’image d’un homme qui s’intéresse à la culture québécoise, lit les romanciers et essayistes québécois, regarde nos films et nos séries télé et apprécie nos artistes. Ce symbole est important, a fortiori en temps de crise, et il le sait. Son nationalisme ne peut être entier sans d’abord être culturel.

On ne peut malheureusement en dire autant de la ministre de la Culture et des Communications, Nathalie Roy, qui a trop souvent donné l’impression d’être aux abonnés absents depuis un an. Est-ce une fausse perception ? Est-ce que le premier ministre occupe toute la scène, en matière de culture, au détriment de sa ministre ? Lui fait-il de l'ombre ?

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Nathalie Roy, ministre de la Culture et des Communications, lors d’un point de presse faisant suite au dépôt d’un projet de loi modifiant la Loi sur le patrimoine culturel

« Non, non, non ! Pas du tout, dit la ministre en entrevue. Écoutez, moi, la victimite, trop peu pour moi, monsieur ! Ça fait huit ans que je suis au Parlement. Écoutez, non. Je n’ai pas une posture de victime. Pas du tout. »

Que cette perception soit ancrée ou non dans la réalité, elle est bien réelle. La ministre Roy a eu beau annoncer des investissements de dizaines de millions de dollars dans des projets et infrastructures, avant et pendant la pandémie, ses collaborateurs ont eu beau se démener pour endiguer la catastrophe qui s’abat notamment sur le milieu culturel, plusieurs continuent de se désoler de son manque de leadership. Ou de son apparent manque de leadership ?

La ministre estime, en effet, que c’est une question de perception. On devine d’ailleurs un peu d’envie chez elle de ne pas bénéficier de la même apparente sympathie des artistes pour son homologue fédéral, Steven Guilbeault.

Pour ce qui est de la perception, je ne jugerai pas. Je serai jugée par ceux qui décideront de me donner la note qu’ils veulent. Mais moi, je sais que je travaille pour eux [les artistes].

Nathalie Roy, ministre de la Culture et des Communications

Pourquoi ne voit-on et n’entend-on pas davantage la ministre ? se demandent bien des artistes, alors que l’industrie de la culture est l’une des plus touchées par cette pandémie. On y a perdu plus d’emplois, toutes proportions gardées, que dans les secteurs de la restauration et de l’hôtellerie. Un travailleur culturel sur quatre a perdu son emploi au pays depuis un an. Quantité d’autres songent à quitter le milieu culturel pour de bon. Cela représentera, même à court terme, une perte d’expertise très importante.

« Moi, mon but, ce n’est pas que tout le monde se réoriente, dit Nathalie Roy. Au contraire, c’est de garder le plus vivant possible notre écosystème culturel pour ne pas perdre cette expertise fine. »

Quelque 80 % des entreprises culturelles québécoises ont subi une baisse importante de leurs activités pendant la première vague de la pandémie, une conséquence directe des mesures mises en place par le gouvernement Legault afin de gérer la crise sanitaire, contre 41,3 % des entreprises québécoises tous secteurs confondus, rapportait en novembre Le Devoir. Près de 60 % des entreprises culturelles ont perdu plus de la moitié de leurs revenus et la moitié d’entre elles ont dû mettre à pied leurs employés. On peut présumer que l’impact de la deuxième vague sur l’industrie culturelle sera du même ordre.

En 2020, rapportait récemment Radio-Canada, la proportion des membres de la Guilde des musiciens et musiciennes du Québec gagnant 20 000 $ et moins par an est passée de 20 % à 56 %. Dans un sondage mené par la Guilde auprès de 750 ses membres, ceux-ci attribuaient une note de 62 % au gouvernement fédéral pour sa gestion de la pandémie, contre seulement 25 % pour le gouvernement du Québec.

Le gouvernement Legault a pourtant fait des investissements sans précédent en culture. Qu’est-ce qui ne colle pas ? Quantité d’artistes et artisans, qu’ils soient comédiens, musiciens ou encore techniciens, ont l’impression que cet argent investi ne se rend pas jusqu’à eux. Du moins pas autant que la PCU du gouvernement Trudeau.

« Quand vous êtes un artiste ou un musicien et que vous recevez la PCU, que vous recevez un chèque du fédéral, ça donne l’impression que le fédéral vous soutient, mais pas Québec », croit la ministre Roy. Son rôle, dit-elle, « n’est pas d’envoyer du chômage » ni des « chèques avec un petit drapeau », encore moins d’établir des contacts directs avec des artistes et prêter flanc à des accusations de favoritisme.

« Je comprends très bien l’angoisse d’un milieu qui vit de contrat en contrat, dit-elle. Les artistes, qui pour la plupart ne sont pas des salariés, n’ont pas droit au chômage. La PCU est arrivée comme un baume parce qu’on a compris qu’ils n’étaient pas admissibles au chômage. Le ministre des Finances, pas le ministre du Patrimoine, a pu aider au fédéral. Et nous avons mis des mesures complémentaires pour soutenir les organisations. Imaginez si on n’avait pas mis ces sous-là. »

Les artistes ont besoin d’être rassurés. Elle s’en défend bien, mais Nathalie Roy ne leur renvoie pas, depuis le début de la crise, l’image d’une pasionaria qui impose une autorité nécessaire pour défendre bec et ongles, avec succès, leurs intérêts au Conseil des ministres. Elle renvoie plutôt à ses détracteurs l’image d’une ministre qui n’a pas toujours les bons réflexes, ne maîtrise pas parfaitement ses dossiers et ne s’intéresse pas particulièrement à la culture.

Elle me rappelle, au contraire, que son amour de la culture est sincère, et pas seulement parce qu’une « petite artiste sommeille en elle » et qu’elle a fait de la peinture, de la danse, de la clarinette et du piano classique pendant 10 ans, sans grand talent, précise-t-elle humblement.

S’il est vrai que le mot d’ordre, au gouvernement, était au départ de la crise sanitaire de laisser la parole au premier ministre, pour des raisons de cohérence et d’intelligibilité du message, la ministre Roy n’a jamais paru prendre le relais par la suite. Comme si on ne lui avait jamais transmis le témoin ou qu’elle ne l’avait pas bien saisi pendant la course. Pour plusieurs, elle est demeurée la figurante d’une pièce de théâtre sans spectateurs. Une ministre fantôme tapie dans l’ombre.

Il y a un adage : Quand on ne vous voit pas, vous n’existez pas. Voilà ! On est dans le monde de la perception, encore une fois. On était là et on travaillait ensemble. Vous savez, des conseils des ministres, il y en a eu plus d’un par semaine. La parole des artistes, elle est passée. Et elle est passée constamment.

Nathalie Roy, ministre de la Culture et des Communications

La ministre de la Culture dit d’ailleurs avoir « une oreille très attentive » auprès du premier ministre.

Au cours des premiers mois de la crise, certains l’ont accusée de se préoccuper davantage du milieu qu’elle connaît, celui de la télévision (elle a longtemps été lectrice de nouvelles à TQS), au détriment des autres. Elle a tardé à se mettre en contact avec les artistes de la scène, par exemple, ce qui a certainement nourri – on y revient – cette perception.

La ministre soutient au contraire être en contact fréquent avec les artisans de toutes les disciplines artistiques, depuis mars dernier. « Si, au début, on ne me voyait pas, c’était une stratégie de communication, dans la mesure où moi, je parlais aux groupes, dit-elle. Moi, je sais que je leur parlais. Le téléphone est là, la porte est ouverte. Je suis tout le temps disponible. On n’a qu’à me le demander, évidemment, s’il reste du temps dans mon agenda ! »

À sa décharge, la ministre Roy est sans doute victime d’une forme de snobisme de la part de certains artistes qui la considèrent comme un corps étranger dans leur univers. Cela dit, elle fait aussi partie d’un gouvernement qui semble parfois peu en phase avec la réalité des artistes. Des artistes qui, pour la très grande majorité, ne pourront jamais se payer un piano à queue, à l’instar du ministre de l’Agriculture, André Lamontagne, pour meubler un salon grand comme l’appartement dont ils peinent à payer le loyer depuis un an…

Peu importent les raisons, réelles ou fausses, justifiées ou pas, la ministre Roy a des problèmes d’image et de communication. De la part d’une ancienne journaliste de la télévision, c’est pour le moins ironique.