Le comédien Gérard Poirier est mort dans la nuit de samedi à dimanche, a confirmé sa fille, Anne-Marie Poirier, à La Presse.

Âgé de 91 ans, l’acteur souffrait d’alzheimer depuis quelques années. En août dernier, il a été transféré au CHSLD Pierre-Joseph-Triest. Son état s’était aggravé au cours des dernières semaines.

En plus de 60 ans de carrière, Gérard Poirier a incarné des centaines de personnages au théâtre, à la télévision et au cinéma. Parmi la multitude de rôles, plusieurs se souviendront du touchant Tancrède dans Le parc des Braves et du notaire Cyprien Fournier dans Le temps d’une paix, récit signé Pierre Gauvreau sur le Québec rural entre la Première et la Seconde Guerre mondiale.

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Gérard Poirier en 1976

La comédienne Marie Tifo a travaillé à ses côtés dans la série Le parc des Braves. « Gérard, c’était la noblesse. […] Jouer avec lui, c’était toujours un moment précieux. Je le garde dans mon cœur pour toujours », a commenté Mme Tifo à La Presse Canadienne.

Elle se souvient d’un homme « intelligent », « très drôle », « un pince-sans-rire incroyable ». M. Poirier a eu une « empreinte très grande sur toute une génération d’acteurs », a souligné Mme Tifo, pour qui il était une source d’inspiration.

M. Poirier est né à Montréal en 1930. Titulaire d’un baccalauréat en pédagogie de l’École normale, il a délaissé très vite l’enseignement, en 1955. À cette époque, il a monté une troupe de théâtre amateur, la Compagnie des Sept, dans laquelle figurera l’actrice Lucille Papineau.

C’est cette dernière qui va lui permettre d’entrer à Radio-Canada, dont il a séduit les décideurs dès sa toute première audition. Impressionnés par sa diction et son talent, les dirigeants l’ont dès lors chaudement recommandé à tous les réalisateurs.

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Gérard Poirier dans Le parc des Braves, en 1984

En plus de multiplier les rôles dans des feuilletons radiophoniques et téléthéâtres, il a participé étroitement à la croissance du Théâtre du Rideau Vert. Il a aussi fait sa marque au Théâtre du Nouveau Monde (TNM) et au sein de la compagnie de Jean Duceppe. Il a fait des mises en scène et signé quelques pièces de son cru.

« Gérard Poirier était un homme de toutes les époques. Discret depuis quelques années, son souvenir n’en demeura pas moins indélébile », a commenté sur sa page Facebook le dramaturge Michel Marc Bouchard, qui avait travaillé avec le disparu pour deux pièces au TNM, Le voyage du couronnement et Les manuscrits du déluge.

Issu du théâtre classique, il a joué aux côtés des Jean Duceppe, Françoise Faucher, Jacques Godin et Janine Sutto, étant salué pour sa prestance et son naturel.

Grand amoureux de la scène et de la langue française, Gérard Poirier a admis avoir connu des difficultés professionnelles avec l’avènement du joual à la télévision dans les années 1970.

« Curieux phénomène, on m’a alors étiqueté comme acteur français et j’ai été momentanément écarté de la vie théâtrale. Pendant six ou sept ans, je n’ai rien fait du tout à la télé. Je continuais à jouer au théâtre, mais cela ne suffit pas pour gagner sa vie », a-t-il confié au journal Le Devoir, en 2002.

M. Poirier a alors enseigné durant quelques années l’art dramatique aux élèves du Conservatoire de musique et d’art dramatique du Québec, et c’est grâce à ces jeunes, a-t-il dit, qu’il a réussi à comprendre ce qui se passait au Québec.

Gérard Poirier est de ces acteurs qui ont eu la chance de connaître une carrière longue et bien remplie. Déjà, en 1995, alors qu’il exerçait le métier depuis quatre décennies, il était conscient de sa bonne fortune.

« J’ai découvert l’immense volupté de dire non et de n’accepter que ce qui me procure vraiment du plaisir, désormais libéré de toute angoisse et animé seulement du plaisir de faire ce métier. C’est là un grand luxe », avait-il alors reconnu en entrevue au Soleil.

Il s’est aussi illustré au cinéma, notamment dans la peau du curé Folbèche dans Les Plouffe de Gilles Carle (1981). Il a cependant souvent fait remarquer qu’il n’avait pas été gâté de ce côté et qu’il aurait aimé jouer davantage au grand écran.

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Gérard Poirier dans le film Henry, de Yan England

En 2013, M. Poirier a tout de même goûté à la course aux Oscars, grâce au court métrage Henry, de Yan England, dans lequel il tenait le rôle-titre d’un homme atteint d’alzheimer.

Plus récemment encore, il a tenu le rôle de Clermont Geoffrion dans la série Mémoires vives et celui de Mathias Fréchette dans le téléroman L’auberge du chien noir, tous deux diffusés à Radio-Canada.

Il aura par ailleurs remporté deux prix Gémeaux au cours de sa carrière, soit en 1988 pour son rôle dans Le parc des Braves et en 2002 pour sa participation à Mon meilleur ennemi.

Éloges du monde du théâtre

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Gérard Poirier, aux côtés d’Yvette Brind’Amour et de Janine Sutto, dans La reine morte, en 1958

De La pension Velder au Parc des Braves, du Temps d’une paix à Mon meilleur ennemi et Mémoires vives, Gérard Poirier a joué dans plusieurs téléromans à succès. Mais il était aussi un immense acteur sur les planches, à jamais associé à l’histoire des plus grandes compagnies de théâtre au Québec. Cet acteur exemplaire laisse un souvenir indélébile aux camarades qui l’ont côtoyé. La Presse a recueilli quelques réactions du milieu.

« Gérard Poirier était bien plus que ce que laissait paraître son image publique, celle de l’homme raffiné et de l’interprète distingué », estime le metteur en scène André Brassard. L’élégance, la prestance, la diction impeccable pour défendre les grands textes français, tout cela faisait bien sûr partie de sa palette. « Mais les acteurs font ce qu’on leur demande de faire, nuance Brassard. Gérard Poirier pouvait aussi être très drôle et très audacieux. Il était aussi ouvert au théâtre de l’avant-garde dans les années 1960 ; à Genet, Sartre et Duras. »

René Richard Cyr, qui a dirigé le regretté comédien dans quelques créations québécoises, abonde dans le même sens. « À l’instar d’Andrée Lachapelle, avec qui il a beaucoup joué, Gérard Poirier a été catalogué à une époque comme un acteur distingué, raffiné, explique Cyr. C’est vrai qu’il excellait dans le répertoire ancien, qu’il disait les alexandrins avec clarté, comme peu d’acteurs au Québec ! Or, il avait aussi une ouverture d’esprit pour le théâtre en marge. »

Je l’ai observé en répétitions prendre un réel plaisir à porter de nouvelles voix, à faire découvrir l’œuvre d’un jeune auteur, comme Titanica, de Sébastien Harrisson, qu’il a créée avec moi en 2001, au Théâtre d’Aujourd’hui.

René Richard Cyr, metteur en scène

La comédienne Louise Marleau se souvient de lui comme « d’un homme charmant et affable ». Mme Marleau l’a connu enfant, alors qu’elle jouait dans le téléroman de Radio-Canada Beau temps, mauvais temps, à la fin des années 1950. « J’avais 10, 12 ans, et il m’impressionnait beaucoup. Il prenait soin de moi sur le plateau. Lui et le réalisateur Paul Blouin m’ont vraiment tout appris sur mon métier. »

Michelle Labrèche-Larouche a connu Gérard Poirier à l’époque où le comédien enchaînait les pièces et les tournées avec son défunt mari, Gaétan Labrèche, pour le Rideau Vert. « C’était un homme généreux, amusant et d’une grande sensibilité, dit-elle. Sa grande beauté et son raffinement ont fait de lui le jeune premier idéal au début de sa carrière. Il a joué les grands textes français : Anouilh, Marivaux, Claudel… »

Prix et rôles marquants

« Gérard Poirier aura marqué la culture québécoise en interprétant tant de rôles importants, dont plusieurs, sur nos planches », a publié la direction de Duceppe sur sa page Facebook. On se souviendra de Douze hommes en colère, en 1987. M. Poirier jouait aux côtés de trois interprètes éternellement liés à l’histoire de cette compagnie : Jean Duceppe, Michel Dumont et Guy Provost.

« Un grand acteur qui a brillé sur les planches du Rideau Vert une cinquantaine de fois, dès 1956 », a réagi la direction du Rideau Vert sur son réseau.

Son élégance, son rire, son charme, sa générosité et son grand talent ne seront pas oubliés.

Le Théâtre du Rideau Vert

Au Théâtre du Nouveau Monde, Gérard Poirier est associé aux classiques, comme Goldoni, Molière, Shakespeare : « Ce qui a été très marquant, c’est son Orgon dans Tartuffe avec Gabriel Arcand, il y a 25 ans, se souvient la directrice du TNM, Lorraine Pintal. C’était une rencontre improbable entre deux grands acteurs provenant de deux écoles de jeu complètement différentes, aux antipodes. C’est Gabriel qui tenait à jouer avec Gérard Poirier. Il m’avait dit : ‟Pour moi, c’est le plus grand acteur au Québec ! » Et cette année-là, ils ont remporté ex æquo le prix Gascon-Roux pour la meilleure interprétation masculine. »