Des retrouvailles de Friends au nouvel album d’ABBA en passant par le retour de James Bond, un documentaire sur les Beatles et une nouvelle série avec la clique de Sex and the City, disons que l’année 2021 a été généreuse en matière de valeurs sûres et de classiques réconfortants. Thérapeutique, la nostalgie ? Retour sur le phénomène, en quatre temps.

Thérapie ludique

PHOTO NICOLA DOVE, FOURNIE PAR EON PRODUCTIONS ET METRO-GOLDWYN-MAYER STUDIOS FILM

Daniel Craig incarne le célèbre agent 007, James Bond, dans No Time to Die.

Coïncidence ? Adele a défoncé tous les records de vente avec son nouvel album cette année. ABBA nous est revenu, après 40 ans de silence. Et voilà que Genesis vient en prime de passer par le Centre Bell. Sans parler des Rolling Stones, toujours en tournée, du retour d’un énième James Bond au grand écran, des retrouvailles de Friends à la télé, et de celles d’Harry Potter, tout prochainement. Assurément, la nostalgie a la cote ces jours-ci.

Et ce n’est pas un hasard. « Ce qu’on a vécu n’est pas banal, commente la sociologue émérite Diane Pacom, aujourd’hui retraitée à Toronto. C’est vraiment sismique. On n’a plus nos points de repère ! » Selon elle, cela ne fait aucun doute : « On recherche le réconfort dans les produits culturels du passé. » Pas n’importe lesquels : « des produits culturels joyeux et heureux », des « valeurs sûres », essentiellement dans le « rétroviseur ». Pour cause : « on ne va pas aller dans l’expérimental ! », ironise-t-elle. En effet, « tout cela nous amène une légèreté », essentielle par les temps qui courent, alors que la pandémie, et ses nouveaux variants, s’étire en longueur, en incertitudes et en questionnements.

Il nous faut bien quelque chose pour nous ramener un peu de ludique et de normalité !

Diane Pacom, sociologue émérite

Tendance prépandémie

N’empêche que la nostalgie vend depuis longtemps déjà. Bien avant la pandémie, en fait. Dans une chronique publiée récemment dans le quotidien Le Monde, le chef du service de la culture soulignait que la musique était de loin la plus concernée par cet « éternel art du recyclage [...] exacerbé depuis la pandémie », soulignant en outre le retour de Diana Ross (après 15 ans de silence) et d’Elton John, en tête des palmarès en Grande-Bretagne. « Voilà longtemps que la nostalgie opère à fond, écrivait-il, une tendance de fond que la pandémie exacerbe un peu plus [...], avec le besoin de se tourner [...] vers ce que l’on aime et connaît déjà. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Sandrine Galand, autrice féministe passionnée de culture populaire

« On aime notre nostalgie », renchérit Sandrine Galand, autrice féministe passionnée de culture populaire. « Mais cet intérêt n’est pas propre à la COVID-19, dit-elle. Depuis un certain temps, il y a des reprises, des reboots. Il y a une volonté très claire de faire de l’argent avec la nostalgie. » Peut-être même que la déferlante de productions « nostalgiques » relève davantage du report du calendrier imposé par la pandémie, en fait. Plusieurs albums, signale-t-elle, productions et séries lancés dernièrement étaient prêts bien avant que tout soit mis sur pause : la sortie en salle de James Bond a été retardée, tout comme le documentaire des Beatles. Même l’album d’ABBA a été reporté un certain nombre de fois, faut-il le rappeler. Conséquence ? Tout a finalement déboulé dans la dernière année.

Stratégie nostalgie

Mais il y a plus. S’il y a manifestement une volonté de miser sur la fibre nostalgique du public, tout particulièrement en ces temps incertains, il y a aussi une « stratégie » propre à un contexte bien particulier : « la surabondance de l’offre culturelle », avance à son tour Stéfany Boisvert, professeure à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), spécialiste de culture populaire et d’études culturelles. « C’est un phénomène manifeste, dit-elle. On connaît un accroissement de la production culturelle sans précédent. » L’enjeu, désormais, étant d’assurer une « visibilité » à l’offre, et surtout une « découvrabilité », dit-elle. Le secret ? Pour contrer la fameuse « fatigue du choix », exacerbée entre autres par la multiplication des plateformes (des Amazon Prime, Disney+ et Netflix de ce monde), il s’agit ici de passer par tous ces « comeback », suites et autres retrouvailles, entre autres.

PHOTO FOURNIE PAR HBO MAX

Les retrouvailles de Friends

En effet, les amis de Friends ne se sont pas réunis que pour notre plus grand plaisir. Carrie, Charlotte et Miranda ne sont pas non plus de retour que pour nous faire oublier la pandémie. « Il y a aussi une stratégie économique derrière tout ça, poursuit la spécialiste en télévision. Si une plateforme offre un univers auquel on a déjà un attachement, on s’assure que cette production sera populaire. » D’ailleurs, l’aviez-vous remarqué ? L’une des dernières-nées dans le milieu (HBO Max) a aussi été particulièrement agressive en ce sens. Pensez : Friends, And Just Like That, puis ce coup de maître, avec les premières retrouvailles annoncées de Daniel Radcliffe, Emma Watson et Rupert Grint devant les caméras pour le Nouvel An...

Refuge thérapeutique

PHOTO FOURNIE PAR L’UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À TROIS-RIVIÈRES

Georgia Vrakas, professeure au département de psychoéducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières

Et savez-vous quoi ? Ça marche ! « Ça nous ramène à du connu, quelque chose qu’on aime, qu’on aimait et qu’on aime encore ! C’est rassurant ! », confirme Georgia Vrakas, professeure au département de psychoéducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Par les temps qui courent, et toutes les « inconnues » qui y sont associées, « avoir accès à quelque chose qui fait du bien, c’est sûr que ça vient nous réconforter », insiste-t-elle. « C’est divertissant, ce n’est pas une fuite, mais une manière de penser à autre chose. » Soit se plonger dans du « connu », loin de cet omniprésent « inconnu ».

C’est d’ailleurs pourquoi elle compte bien se replonger personnellement dans sa série préférée : Seinfeld. Pour une raison (psychologique) toute simple. « Je sais ce qui va se passer, je sais que je vais rire, il n’y aura pas de surprise, et en ce moment, c’est ce dont j’ai besoin... » Un immense besoin de légèreté. Touché.