Chaque semaine, des journalistes des Arts de La Presse nous font le récit d’une anecdote vécue lors de la couverture d’un évènement culturel. Le plus grand malaise ressenti, le moment le plus stressant lors d’une affectation, le spectacle le plus amateur qu’ils ont vu, l’entrevue la plus pénible, etc. Voici leurs témoignages. Bonne lecture !

Marc Cassivi

Je n’avais pas de magnétophone. « Je n’aime pas ça », m’a dit d’emblée Amira Casar, jurée au FFM en 2005. L’ancienne égérie de Chanel et actrice de La vérité si je mens ! m’a reproché mon calepin usé et mon stylo en plastique, la moue boudeuse. Il semble qu’elle ait déjà été citée hors contexte. J’ai tout noté, avec ironie, dans une chronique. Extrait : « Jeanne Moreau a déjà dit d’elle qu’elle était sa jeune actrice préférée du moment (dans mes notes ; c’est elle qui le dit, pas moi). Mais devenir “actrice-reine” ne l’intéresse pas (mes notes). [...] “Je cherche à faire de bons films. Je ne cherche pas les rôles”, dit-elle. On la surnomme la Casar, comme autrefois la Callas (ou la Castafiore), dans ce milieu du cinéma français “qui bruisse de ses légendes et lui promet une carrière hors norme” (celle-là n’est ni d’elle ni de moi, mais de Libération, qui lui consacrait un portrait extrêmement flatteur, jeudi dernier). Une star – ou plus précisément, une “diva” (dans mes notes ; de moi) – est née. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Spectacle de Ben Harper au Centre Molson en 2004.

Alexandre Vigneault

Facile : Ben Harper. Je me suis retrouvé au téléphone avec lui peu avant son passage au Festival international de jazz de Montréal, en 2003. Il venait de publier son disque Diamonds on the Inside. Il n’avait pas trop envie d’analyser, se contentait de généralités, faisait des métaphores vaseuses. Jusqu’à ce que je pose une question que je jugeais bien inoffensive : « Vous croyez toujours que la musique peut changer les choses ? » Et là, ça a dérapé. « Vraiment, je me sens mal pour toi, man. Tu es dans le champ ! Tu es journaliste et tu passes à côté de l’essentiel ! », s’est exclamé le chanteur, avec une condescendance de preacher. « Tes questions sont à côté de la plaque », a-t-il renchéri avant de se lancer dans une envolée un peu confuse où il évoquait le changement (« qui ne s’achète pas au dépanneur ») et la révolution (« qui change des choses dans ta vie »). Ce fut un vrai supplice. J’ai retranscrit le tout fidèlement…

PHOTO FOURNIE PAR ALLIANCE

Anthony Hopkins et Gwyneth Paltrow dans une scène du film Proof, sorti en 2005.

Marc-André Lussier

Le contact a fini par s’établir, mais les cinq premières minutes d’une entrevue en tête à tête avec l’immense Anthony Hopkins au festival de Toronto, en 2005, furent probablement les plus glaçantes que j’ai vécues dans ma vie. Selon la formule empruntée dans ce genre d’exercice promotionnel, l’acteur a dû enchaîner les interviews dans une suite d’hôtel pour soutenir la présentation de Proof, un film de John Madden. On s’attend à ce qu’un acteur aussi accompli soit en mesure de présenter sa vision du métier, d’évoquer ce qui le motive, bref, qu’il puisse expliquer un peu sa démarche et ce qui le fait avancer. Pantoute. « Quand un projet intéressant se pointe, j’accepte, je joue, et je rentre chez moi. Voilà ma démarche. C’est aussi simple que ça ! » J’ai fini par comprendre – c’est du moins l’interprétation que j’en ai faite – que l’acteur s’accordait quelques minutes au début de l’entretien pour décider s’il allait en donner un peu à son interlocuteur ou pas. Il m’en a finalement donné. Fiou.

PHOTO TIRÉE DU SITE IMDB

Une scène du film patriotique de Ridley Scott Black Hawk Down, sorti en 2001

Chantal Guy

Ça suintait la testostérone ce jour-là à l’hôtel Four Seasons de Los Angeles pour la rencontre de presse de Black Hawk Down, de Ridley Scott, un impressionnant film de guerre patriotique à propos de la mission américaine du 3 octobre 1993 à Mogadiscio, en Somalie, qui avait tourné au drame. Un casting impressionnant d’acteurs – Josh Hartnett, Tom Sizemore, Eric Bana, entre autres, qui avaient tous fait un entraînement militaire pour le tournage – était présent. Or, nous étions exactement quatre mois après les attentats du 11 septembre 2001, il y avait des drapeaux américains accrochés à toutes les voitures, des troupes venaient d’être envoyées en Afghanistan… et les producteurs avaient décidé de devancer la sortie du film. Tom Sizemore s’était lancé dans une longue tirade enflammée sur le courage des militaires : « Ils sont prêts à mourir pour nous garder libres ! », et le réalisateur Ridley Scott, piqué au vif par une question d’une journaliste qui avait rappelé le côté controversé de cette mission en Somalie, s’était carrément emporté contre elle, défendant le droit des États-Unis d’intervenir dans les pays en guerre. « Vous êtes chanceux d’être nés aux États-Unis ! a-t-il sorti aux journalistes. Où habitez-vous, à West Wood ? Fuck ! » La tension était palpable, c’était franchement désagréable.