C’était il y a un an. En juillet 2020, une nouvelle vague de dénonciations d’agressions et d’inconduites sexuelles a déferlé sur les réseaux sociaux au Québec. Sans être la seule industrie touchée, le milieu culturel a été secoué par plusieurs scandales. Retour sur cet été de grands bouleversements.

Juin 2020, dans le milieu du jeu vidéo, notamment chez Ubisoft, des employés, dirigeants et figures publiques de studios et de plateformes de diffusion sont accusés d’agressions ou d’abus. Début juillet, au Québec, les témoignages sur Instagram et sur Facebook de personnes se disant victimes d’inconduites se multiplient. La plupart du temps, l’agresseur présumé est nommé. Dans plusieurs cas, il s’agit d’une personnalité du milieu artistique.

« On sait qu’il risque toujours d’y avoir des vagues comme celle-ci qui surviennent, et on s’attend à ce qu’il y en ait d’autres », affirme d’emblée Virginie Maloney, avocate et directrice des opérations à L’Aparté, une ressource contre le harcèlement et les violences dans le milieu culturel.

« Par contre, j’ai été surprise que ce soit arrivé à ce moment, à cause de la pandémie, ajoute celle qui a fondé l’organisme indépendant après la première vague #moiaussi de 2017. La culture a été grandement affectée et il y avait moins de travail, il n’y avait plus de festivals, plus de théâtre. Mais après les dénonciations dans le domaine du jeu vidéo, on savait que ça s’en venait. »

Toujours prête à de possibles moments de soulèvement, l’équipe de L’Aparté a néanmoins été « prise d’assaut », recevant l’été dernier une quantité d’appels difficile à gérer.

Pourquoi les arts ?

Juillet 2020. Des comptes Instagram (victims_voices_montréal, victims_voices_cinema_mtl, etc.) rassemblent des témoignages provenant de divers milieux et régions. Sur Facebook, « Dis son nom » compile une liste « d’abuseurs présumés » dénoncés anonymement. Certaines dénonciations se retrouvent davantage à l’avant-scène, puisqu’elles éclaboussent des personnalités publiques.

« J’ai l’impression que les cas médiatisés créent un élan, dit Virginie Maloney pour expliquer l’arrivée de ces vagues. Et les gens sont tannés, ils veulent des actions, ils ne veulent plus juste parler. Des clients m’ont dit qu’ils ne veulent plus juste dévoiler, ils veulent des conséquences, des sanctions au bout. »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Martine Delvaux, auteure

Le milieu culturel favorise-t-il les situations d’abus et d’inconduites ? « La violence sexuelle est endémique et n’est pas nécessairement plus présente dans le milieu culturel [...], même s’il est fertile pour toutes sortes de raisons », croit l’auteure Martine Delvaux, qui a notamment publié l’an dernier Je n’en ai jamais parlé à personne, qui rassemble des centaines de témoignages de violences subies par des femmes.

La médiatisation de plusieurs cas dans le domaine culturel donne l’impression qu’il est plus concerné par les problèmes de harcèlement, de violence et d’abus. Le fonctionnement du milieu explique en tout cas une certaine prédisposition, croit Virginie Maloney.

« Il y a des personnes qui ont beaucoup de pouvoir et il y a une grande vulnérabilité dans plusieurs catégories de travailleurs », analyse l’avocate.

Les gens doivent se faire aimer des personnes qui les engagent. Il est plus difficile de refuser une avance sexuelle, parce qu’on ne mord pas la main qui nous nourrit. Le milieu pense beaucoup comme ça.

Virginie Maloney, avocate et directrice des opérations à L’Aparté

« Dans le milieu des arts, 99,9 % des gens sont des travailleurs autonomes, ce qui crée une fragilité, ajoute la présidente de l’Union des artistes, Sophie Prégent. It’s not about sex, it’s about power. Dans notre milieu, ça se voit et ça se sent. C’est ce qu’on veut éviter. »

S’y ajoute un certain culte de la personnalité, qui confère à certains artistes ou figures importantes une position dominante. Puis, la question du rapport au corps, dans les métiers où il est l’outil de travail principal, comme la danse, le jeu ou le cirque, souligne Virginie Maloney. On sort aussi très souvent « du cadre du 9 à 5 », ce qui rend les balises un peu plus difficiles à placer encore, remarque l’avocate.

Le pardon et le culte de la personnalité

Après avoir été accusée par Safia Nolin, Maripier Morin a présenté des excuses sur Instagram en reconnaissant une partie des faits. À la suite de l’enquête publiée par La Presse en mai dernier, elle a réitéré son mea culpa et exprimé son souhait de revenir à l’avant-scène.

Alex Nevsky, lui, a entrepris avec son ex-copine, Stéphanie Boulay, une démarche réparatrice, en privé. Le chanteur a depuis amorcé un retour, lui qui avait été temporairement désavoué par sa maison de disques, Musicor. Yann Perreau s’est lui aussi excusé à la suite d’allégations de harcèlement sexuel, avant de lancer une nouvelle chanson et d’annoncer une série de spectacles.

« Pour les personnalités publiques, parce qu’elles sont ce qu’elles sont, les effets de ces dénonciations sont plus évidents, affirme Francine Descarries, sociologue et professeure de sociologie à l’Université du Québec à Montréal. Est-ce qu’elles regrettent davantage leurs gestes que les autres ? Je ne crois pas. Elles ont par contre beaucoup plus à perdre que d’autres personnes dans l’anonymat. »

S’il est possible de se réhabiliter, alors qui peut revenir ? Après combien de temps ? De quelle façon ? Ces questions restent majoritairement sans réponse, mais Martine Delvaux y décèle une forme d’iniquité.

La personne victime d’abus reste dans l’ombre, ostracisée, alors qu’elle paie tous les jours de sa vie la violence qu’elle a subie.

Martine Delvaux, auteure

De plus, « le capital de couleur de peau, de beauté, de jeunesse, fait que des personnalités [accusées] peuvent ravoir accès à leur place et réintégrer l’espace public, en s’excusant sur les plateformes auxquelles elles ont accès », ajoute-t-elle.

Des procès sans succès

Quelques mois après la vague de l’été 2020, en décembre, les verdicts des procès d’Éric Salvail (pour agression sexuelle, séquestration et harcèlement) et de Gilbert Rozon (pour viol et attentat à la pudeur) ont été rendus. Dans la même semaine, les deux hommes ont été acquittés. Des conclusions qui ont nourri la méfiance envers le système judiciaire et les vagues de dénonciations en ligne.

« Ce qu’on constate et qui complique notre travail, c’est que quand il y a des procès très médiatisés comme ceux-là et qu’ils [les individus] sont reconnus non coupables, on doit travailler pour rebâtir la confiance [des victimes], avance Virginie Maloney, de L’Aparté. On se le fait dire clairement. »

Lorsque le Directeur des poursuites criminelles et pénales n’a retenu qu’un dossier dans l’affaire Rozon, en en écartant cinq du même coup, la désillusion a frappé fort. « On nous disait : “vous voyez que ça ne donne rien” », relate l’avocate.

Mais lorsqu’un « monument, une personne importante ou une vedette » doit répondre de ses actes, ne serait-ce que face au tribunal public, « des femmes peuvent se dire : si elle l’a fait, moi aussi, je peux le faire », analyse Francine Descarries. Le mouvement « #metoo a le pouvoir de collectiviser les revendications des femmes et d’en sortir plusieurs de leur isolement, constate la sociologue. Plusieurs ont compris pour la première fois que la ou les situations qu’elles ont vécues n’étaient pas de leur responsabilité et ont pris conscience que d’autres vivaient la même chose qu’elles ».

Des noms qui ont circulé

Maripier Morin

PHOTO FOURNIE PAR BELL MEDIA

Maripier Morin

La première onde de choc médiatique, celle qui viendra galvaniser le mouvement de dénonciations : l’auteure-compositrice-interprète Safia Nolin a révélé dans une story le harcèlement sexuel, l’agression et le racisme subis de la part de Maripier Morin. L’animatrice et actrice admettra alors certains des faits dans un message d’excuses.

Yann Perreau

PHOTO JOHN LONDONO, TIRÉE DU SITE WEB DE L’ARTISTE

Yann Perreau

Le chanteur Yann Perreau a été largué par sa maison de disques, Bonsound, après avoir été dénoncé sur Instagram pour des agissements déplacés. La chanteuse La Bronze avait notamment reçu une photo non sollicitée de ses parties intimes. Une autre femme dit avoir subi des attouchements sexuels lors d’une prise de photo après un concert.

Bernard Adamus

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Bernard Adamus

Une autre étiquette, Dare To Care, s’est dissociée du musicien Bernard Adamus, accusé d’inconduite, ainsi que du président de la boîte, Eli Bissonnette, qui quittera finalement son poste en s’excusant de ne pas avoir agi pour protéger les victimes.

Alex Nevsky

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Alex Nevsky

Alex Nevsky a étalé sur Instagram un message que son ex-partenaire lui avait envoyé en privé pour lui faire comprendre qu’elle avait vécu deux années de relation abusive avec lui. Le musicien ne révélait pas de qui il s’agissait, mais l’auteure-compositrice-interprète Stéphanie Boulay a pris les devants en révélant son identité pour soulever l’affront de Nevsky, qui a parlé de cette histoire sans sa permission. Depuis, l’ancien couple a entrepris une démarche de réparation.

David Desrosiers et Maybe Watson

PHOTO TIRÉE D’INSTAGRAM

David Desrosiers, bassiste de Simple Plan

Dans la même semaine, le bassiste de Simple Plan, David Desrosiers, et le membre d’Alaclair Ensemble Maybe Watson ont tous les deux été répudiés par leur groupe respectif après des accusations d’agissements répréhensibles. Desrosiers a été accusé sur les réseaux sociaux, tandis que les membres d’Alaclair Ensemble ont été mis au courant par un message privé des agissements présumés de Maybe Watson.

Julien Lacroix

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Julien Lacroix

Le Devoir a publié, à la fin de juillet, une enquête rassemblant les témoignages de neuf femmes disant avoir été victimes d’agressions ou d’inconduites sexuelles de la part de Julien Lacroix. Celui-ci, après avoir d’abord tenté de nier les accusations, s’est retiré de l’avant-scène. Quelques mois plus tard, l’humoriste a présenté ses excuses dans un message publié sur sa page Facebook.

Alexandre Douville

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Alexandre Douville

L’humoriste de la relève Alexandre Douville est dépeint sur la page « Dis son nom » comme un « pervers sexuel », un « abuseur » et un « harceleur ». Récemment, l’humoriste a porté plainte pour diffamation contre trois personnes l’ayant dénoncé en ligne.

Le milieu littéraire

Un groupe de plus de 300 femmes et minorités de genres ont rapporté, de manière privée, des cas d’inconduites sexuelles dans le cadre de leur travail. Le comité spécial sur le harcèlement de l’Association nationale des éditeurs de livres s’est alors réuni pour élaborer un plan d’action. L’Union des écrivains et écrivaines du Québec a de son côté créé une cellule d’urgence.