Dans la rue, le métro, même dans la chambre à coucher… Partout autour de vous, les gens ont des écouteurs vissés aux oreilles. Qu’est-ce qu’ils écoutent ? De la musique, bien sûr, mais aussi la radio, des livres audio, des balados. Le son est au cœur d’un nouveau chapitre de la révolution numérique. Bientôt, disent les experts, notre voix pourrait carrément remplacer le clavier de notre ordinateur ou de notre téléphone intelligent. Restez à l’écoute…

En juin dernier, l’humoriste Sam Breton lançait Avec son Sam, une balado dans laquelle il mène des entrevues avec des personnalités connues. Qu’est-ce qu’un humoriste aussi populaire, chroniqueur à la télévision et souvent invité dans les médias, vient faire dans le monde des balados ? « J’avais remarqué que mes passages à Mike Ward sous écoute étaient remarqués, dit-il. C’était la pandémie, alors j’ai décidé de me lancer à mon tour. »

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Le gagnant de l’Olivier de l’année affirme que les balados ont été une véritable découverte pour lui. « J’aime la liberté, lance-t-il. Il n’y a pas de balises, pas de limites de temps. J’aime aussi le ton intimiste [à noter que sa balado est aussi disponible sur YouTube]. Ça permet de parler de sujets plus personnels, les gens se sentent plus à l’aise, on dirait. Et en pandémie, on peut même enregistrer chacun chez soi. »

L’an dernier, plus de 900 000 balados ont été publiés dans le monde, selon le bureau d’études Chartable. C’est trois fois plus qu’en 2019. Et tout indique que la tendance à la hausse va se poursuivre au cours des prochaines années.

Ce succès n’est pas le seul signe que l’audio a le vent dans les voiles. Tout ce qui tourne autour de la parole connaît une popularité incroyable dans ce qu’on appelle l’économie de l’attention. Les livres audio, par exemple, ont vu leurs ventes augmenter (Audible propose près de 600 000 titres) et on note également une hausse des emprunts de livres audionumériques à Bibliothèque et Archives nationales du Québec. La firme Deloitte prévoit une croissance de 25 % dans ce secteur.

L’écoute de la radio parlée, en direct, est également en croissance, comme l’ont confirmé les sondages Numeris de mars dernier, un phénomène qui s’observe aussi chez nos voisins du Sud.

« Le temps consacré au contenu parlé a augmenté de 30 % au cours des six dernières années aux États-Unis alors que l’écoute de la musique a baissé de 8 % durant la même période », a noté Megan Lazovick, vice-présidente chez Edison Research, l’automne dernier, ajoutant que plus du tiers des Américains (43 %) écoutaient du contenu parlé tous les jours. Une tendance que confirme Caroline Jamet, directrice générale de la radio et de l’audio à Radio-Canada. « Les gens nous écoutent en direct environ cinq heures par jour », note-t-elle.

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Cet attrait pour les contenus parlés s’explique de plusieurs façons, mais il y a d’abord des raisons psychiques. « La voix humaine a un rôle fondamental, explique Nathalie Gosselin, professeure adjointe au département de psychologie de l’Université de Montréal et chercheuse au Centre de recherche sur le cerveau, le langage et la musique (CRBLM). L’ouïe est l’un des premiers sens que nous développons, et la mère parle à son bébé pour le rassurer. La voix a un effet apaisant et permet une véritable connexion émotionnelle. »

Une véritable révolution

Il faut reculer au 13 décembre 2016 pour comprendre une des raisons principales du regain de popularité de l’audio. Ce jour-là, Apple lançait les AirPods, ces petits écouteurs sans fil devenus rapidement, comme à peu près tout ce que lance l’entreprise, un succès époustouflant. Ces écouteurs légers qui se rechargent facilement dans un étui qu’on peut glisser dans une poche ont changé la donne en permettant aux gens de se déplacer sans qu’un fil leur pende au cou. Depuis, le marché est inondé de modèles similaires et les ventes ont grimpé en flèche au cours des dernières années : 445 millions de paires d’écouteurs sans fil vendues en 2019 seulement, et on prévoit des ventes d’environ 30 milliards de dollars américains en 2026.

Le téléphone intelligent est un couteau suisse. Et l’évolution de la technologie a une grande influence sur les comportements. Aujourd’hui, les gens écoutent davantage la radio sur leur téléphone.

Caroline Jamet, directrice générale de la radio et de l’audio à Radio-Canada

L’effet COVID-19

Il y a deux ans, personne dans le milieu des médias et des télécommunications ne voyait une pandémie sur son radar. Aujourd’hui, tout le monde s’entend pour dire que la COVID-19 a amplifié l’engouement pour l’audio. « Il s’est passé quelque chose avec la pandémie, le confinement et le télétravail, note Catherine Mathys, directrice de la veille stratégique au Fonds des médias du Canada. Les gens ont développé une fatigue des écrans. »

Nos interminables réunions sur Zoom, les cours en distanciel, le réveillon de Noël en ligne… Sans compter les soirées passées devant un écran à regarder des séries. L’audio est devenu une échappatoire, une façon d’occuper notre temps sans être assis devant un écran. « L’appétit pour l’audio n’est pas nécessairement là où on l’attendait », remarque Catherine Mathys, citant une nouvelle génération d’applications mobiles de rencontres comme Chekmate et LovVox qui misent d’abord sur la voix pour trouver l’âme sœur. L’audio est à ce point populaire qu’en décembre dernier, Netflix testait ses contenus en mode « audio seulement » !

« Les Buggles chantaient Video Killed the Radio Star, mais finalement, ce n’est pas ce qui s’est produit, note pour sa part la chercheuse Nathalie Gosselin. L’audio est un merveilleux accompagnateur qui nous permet de nous moduler. Les gens recherchent de plus en plus de contenus qu’ils pourront écouter en déplacement, en faisant leur jogging ou en jardinant. » Dans une société où on aime bien rentabiliser son temps, l’aspect « multitâche » de l’audio a été déterminant.

M’entends-tu ?

L’engouement pour l’audio n’a pas d’âge. En janvier dernier, 88 % de la génération Z et 93 % de la génération Y avaient écouté la radio AM/FM sur une plateforme ou une autre, selon une étude de l’Observateur des technologies médias (OTM). Même s’ils sont allergiques aux conversations téléphoniques, les jeunes envoient des messages vocaux à leurs amis par Instagram, WhatsApp ou Messenger. On estime à environ 200 millions le nombre de messages vocaux envoyés chaque jour par WhatsApp seulement.

Pendant ce temps, leurs parents parlent à des haut-parleurs intelligents. Encore une fois, les chiffres ne mentent pas : selon Forrester Research, le nombre de foyers qui possèdent des assistants numériques comme Siri ou Alexa a doublé entre 2018 et 2019 aux États-Unis et au Royaume-Uni, passant de 10 % à 19,6 %. On prévoit que cette proportion atteindra 57,5 % en 2024. Pas étonnant que Facebook s’apprête à lancer le sien.

« Il reste beaucoup de lieux à conquérir avec l’audio, remarque Xavier Kronström Richard, directeur de création de Grand public, studio de podcast narratif. On n’est pas à l’aube d’un plafonnement. À commencer par l’habitacle de l’auto, jusqu’ici occupé par la radio. Au cours des prochaines années, on va voir beaucoup de contenus à la demande se développer. Et avec les avancées en intelligence artificielle, on verra aussi une explosion du multitâche, soit la possibilité de faire plein d’opérations complexes à partir de notre auto, avec la voix. »

Bref, l’audio n’a pas dit son dernier mot.

Un ou une balado ?

Voici ce que la conseillère linguistique de La Presse, Lucie Côté, nous recommande.

À La Presse, on n’emploie pas le mot anglais « podcast » pour désigner le « fichier audio ou vidéo diffusé par [l’internet], destiné à être téléchargé sur un ordinateur ou un appareil portable », qui permet une écoute en différé. D’abord, parce qu’il s’agit d’un « emprunt intégral inutile à l’anglais […] déconseillé en français », puisqu’on dispose des termes fichier balado et balado. Ensuite, parce que ce terme est formé à partir du mot iPod, qui est un nom de marque alors qu’en réalité, on peut écouter une émission balado sur n’importe quel type de lecteur de musique portatif, sur un téléphone ou sur un ordinateur. Le nom balado est-il féminin ou masculin ? Les deux. Cela dépend du contexte. Il est masculin lorsqu’il est question du fichier lui-même qui sera téléchargé. Au pluriel, on écrira des balados, des fichiers balados. Des balados audio, vidéo, radio, photo. Mais il est ensuite féminin, puisqu’il désigne aussi l’émission elle-même. On peut également employer les termes émission balado, baladoémission ou émission baladodiffusée, ce qui permet de varier le vocabulaire. Des émissions balados.

Sources : Banque de dépannage linguistique de l’Office québécois de la langue française, Commission d’enrichissement de la langue française (FranceTerme), Multidictionnaire de la langue française (Marie-Éva de Villers), Robert intégral

Le phénomène Clubhouse

Clubhouse est le premier d’une nouvelle génération de réseaux sociaux axés sur la parole. Mais attention, Facebook s’en vient.

En février dernier, tout le monde parlait de Clubhouse. Un réseau social sans image qui propose des salons de discussion thématiques – comme la littérature, la santé mentale ou les nouvelles technologies.

Dès le départ, Clubhouse réunissait tous les ingrédients pour devenir un phénomène viral : accès sur invitation, le réseau social était fréquenté par des vedettes comme l’acteur Ashton Kutcher, le rappeur Wiz Khalifa ou l’entrepreneur Elon Musk. La rumeur a contribué à son succès… Aujourd’hui, la valeur de Clubhouse approche les 4 milliards US. « C’est beaucoup pour une application mobile en mode bêta sans modèle d’affaires », remarque Catherine Mathys, directrice de la veille stratégique au Fonds des médias du Canada.

La journaliste et auteure Marie-Julie Gagnon a été parmi les premières au Québec à aller fouiner sur Clubhouse.

Je n’avais pas accroché à quelque chose comme ça depuis les débuts de Twitter. J’ai réalisé à quel point le contact avec les autres, le fait d’entendre leur voix, ça me manquait avec la pandémie.

Marie-Julie Gagnon, journaliste et auteure

« Et puis j’ai aimé explorer cette terre vierge avant que tout le monde n’arrive et ait son opinion », souligne la chroniqueuse de l’émission Moteur de recherche, sur Ici Première.

Elle estime que sa lune de miel avec Clubhouse a duré un bon mois. « J’ai aimé les conversations improbables avec d’autres passionnés de médias et j’ai aimé avoir accès à des sommités dans différents domaines », dit-elle. Dans la colonne des moins, elle cite « les gens qui s’écoutent parler et l’absence d’un moteur de recherche pour se retrouver dans les nombreux salons ». La modération de propos haineux et racistes pose également problème selon beaucoup d’utilisateurs.

La ruée vers l’audio

Clubhouse – qui vient d’annoncer le lancement de 50 émissions originales sur sa plateforme – est un pionnier de ce nouveau Klondike où l’or a été remplacé par une autre matière première : la voix. Depuis mars, Twitter (avec Spaces) et LinkedIn se sont lancés dans l’audio, et Facebook s’apprête à envahir le marché avec ses salons de discussion d’ici à l’été.

« Nous pensons que l’audio sera un média de premier ordre, et qu’il y a beaucoup de produits différents à développer », a déclaré Mark Zuckerberg à la mi-avril. Le patron de Facebook s’apprête également à lancer SoundBites, un genre de TikTok sonore qui permettra de réaliser des petites bandes-son dans lesquelles on pourra ajouter des effets.

Zuckerberg, comme ses concurrents, voit l’immense marché devant lui. Un rapport de la firme CivicScience cité par le magazine Forbes indique qu’aux États-Unis, 41 % des adultes âgés de 35 à 54 ans écoutent du contenu audio en continu, un chiffre en progression. Ça fait beaucoup d’oreilles à conquérir.