Les jours qui marquent un lancement de livre sont faits d’excitation et de fébrilité pour un auteur. Heureux de mettre enfin le bateau à l’eau, nerveux de présenter le résultat au public, il commence souvent cette journée sur les chapeaux de roues.

Le matin du 12 mars 2020, jour du lancement de la biographie de Renée Claude que j’ai rédigée, je me suis levé tôt, habité par une seule idée.

Ce n’était pas les détails de la réception, prévue à la Maison de l’environnement, ou la liste d’invités qui me tracassait.

C’était plutôt ce fameux virus dont on avait du mal à ce moment-là à prononcer le nom.

Était-ce une bonne idée de réunir dans une salle exiguë près de 200 invités parmi lesquels figuraient plusieurs personnalités telles que Clémence DesRochers, Stéphane Venne, Mouffe et Louise Forestier ?

Vous savez comment sont les artistes. Ça s’enlace, ça s’embrasse, ça se minouche. C’est pour cela que les premières du TNM commencent toujours avec 10 heures de retard.

PHOTO MICHEL GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

La regrettée chanteuse Renée Claude sur une photo prise par La Presse en 1972

Tôt ce matin-là, j’ai envoyé un courriel à Jean-François Bouchard et Pierre Cayouette, des Éditions La Presse, et un texto à Robert Langevin, conjoint de Renée Claude, leur demandant leur avis.

Était-ce responsable de tenir ce rassemblement ?

Résultat : vers 10 h 30, Alain DesRuisseaux, organisateur de l’évènement, envoyait un mémo à tous les invités leur disant de ne pas se présenter au lancement.

Avions-nous été trop vite sur le piton ? Avions-nous fait preuve d’une trop grande frilosité ?

Je me posais la question lorsque vers midi, François Legault a imposé l’interdiction des rassemblements de 250 personnes et plus. Le reste appartient à l’histoire.

Cette journée fut triste. Je pensais surtout à Renée Claude, pour qui ce lancement se voulait un grand hommage. Je me console en songeant à la rencontre que j’avais eue avec elle le dimanche précédent.

En fin de journée, un ami a proposé de faire une rencontre intime chez lui. Nous étions cinq ou six. On a bu du vin et on a écouté des chansons de Renée. On s’est photographiés le livre à la main comme une bande de ringards.

Ce fut mon dernier party. Quand je revois cette photo, j’ai l’impression qu’elle a été prise dans les années 1980.

Évidemment, plusieurs entrevues qui avaient été prévues les jours suivants ont été annulées. La programmation des émissions de radio du matin et de l’après-midi était chamboulée et la place normalement réservée à la culture fut réquisitionnée pour les « hard news ».

Difficile d’aller parler du parcours d’une interprète, si importante soit-elle, quand la terre arrête de tourner.

Je me souviens de mon passage chez Monique Giroux, à l’émission Chants libres, sur ICI Musique. On se demandait tous les deux si c’était pertinent de consacrer une heure d’antenne à des chansons alors que les mauvaises nouvelles se multipliaient.

Comment les auditeurs allaient-ils réagir en entendant Le début d’un temps nouveau alors que celui que l’on vivait ne laissait présager absolument rien de bon ?

La terre est à l’année zéro... Le bonheur est la seule vertu... Nous voilà devenus des oiseaux... Les couleurs se mêlent sur la peau...

Malgré le climat apocalyptique, malgré le début de ce nouveau temps gris, la voix de Renée Claude et la poésie de Stéphane Venne se sont quand même fait entendre.

Beaucoup de gens m’ont parlé de cette heure musicale qui leur a fait du bien. Comme quoi, dans des moments comme ceux-là, l’art demeure toujours essentiel. Il ne faut jamais l’oublier.

Tristement, Renée Claude a été emportée par le même virus qui a empêché le lancement de sa biographie. La douce Renée aurait toutes les raisons du monde de piquer une bonne colère là où elle se trouve. Mais cela n’est pas pour elle.

Malgré l’annulation de cet évènement, les entrevues qui n’ont pas eu lieu et la fermeture des librairies, le livre a trouvé son chemin jusqu’au public. C’est cela, et uniquement cela, que j’aimerais pouvoir dire à Renée Claude aujourd’hui.

Et puis, j’aimerais lui demander un truc...

Très chère Renée, de là-haut, pourriez-vous faire en sorte que l’on puisse rechanter le plus rapidement possible vos chansons ? Et pourriez-vous vous arranger, s’il vous plaît, pour que leurs paroles fassent encore partie de notre réalité ?

Si vous saviez comment nous avons hâte de redevenir des oiseaux !