Marc Labrèche anime désormais en formule hebdomadaire d’une heure (le vendredi 20 h, sur ICI Première) l’émission radiophonique Un phare dans la nuit, qu’il a conçue du jour au lendemain, à la fin mars, avec le réalisateur Francis Legault et l’auteure Rafaële Germain. Comme le plaisir croît avec l’usage, l’émission prévue jusqu’à la mi-juin devrait tenir l’antenne jusqu’en août.

Marc Cassivi : Si ton émission est prolongée, j’imagine que c’est parce que tu as assez aimé la faire pour continuer ? On ne t’a pas tordu le bras, toujours… (Rires)

Marc Labrèche : Non ! L’idée de départ, c’était vraiment un contrat d’un mois, qui a passé mille fois plus vite que ce que je pensais. Il s’est installé quelque chose qui, du moins de mon côté, était hyper agréable. Encore plus que ce que j’imaginais.

C’était comme un coït interrompu pour moi. Et ça semblait résonner pour certaines personnes, faire du bien un peu. Pourquoi ne pas continuer ? Surtout que j’adore Francis Legault, le réalisateur, et Rafaële Germain, avec qui je travaille depuis longtemps. Et puis de façon très sécuritaire, ça me fait quand même sortir un peu de chez moi ! (Rires)

M.C. :  Sortir de chez soi et sortir de sa tête, en ce moment, ça fait du bien !

M.L. :  Absolument. On est grégaires ! Je sais que je suis capable de vivre seul. C’est un cadeau de la vie de bien vivre dans la solitude. Mais je n’en ai pas du tout envie ! Au contraire. On dirait que plus je vieillis, plus j’ai envie d’être avec les gens que j’aime. De le leur manifester et d’en profiter. J’avais vraiment le fantasme, à travers cette émission, d’accompagner et d’être accompagné. C’est de là qu’est partie l’idée et c’est pour ça que ça continue. En plus, je redécouvre le plaisir de faire de la radio, même si c’est accessoire dans les circonstances. C’est un autre rapport avec les gens, évidemment plus intime que le ton que j’emprunte à la télé et qui n’a rien à voir avec le théâtre.

M.C. :  Ce projet est né en quelques jours. La radio est un médium qui permet ça. Ce n’est pas nécessaire d’avoir accès au CCM (costumes, coiffure, maquillage). Tu avais envie d’embrasser un médium qui permet cette spontanéité ?

M.L. :  Oui ! C’est en discutant avec Francis Legault que le projet est né. J’avais l’état d’esprit et le temps disponibles pour faire de la radio. Être dans un aquarium et regarder ce qui se passe autour de moi. Comme tu le dis, il y a juste à la radio qu’on peut avoir cette spontanéité, qui n’est pas sans préparation non plus, avec un ton que je ne peux me permettre nulle part ailleurs. J’avais fait de la radio commerciale, il y a longtemps. Des remplacements le matin à CKOI ou à CKMF. C’est très différent. On a une très grande liberté dans les circonstances, peut-être grâce à l’expérience du Plus beau jour de ma vie (avec Anne Dorval) il y a quelques années. Ça ajoute au plaisir. Il y a quelque chose de surréaliste à rentrer à Radio-Canada alors qu’il n’y a personne ! Je ne vois que deux techniciens habillés en Tchernobyl passer en studio pour tout désinfecter. Je suis seul au micro. Ça me met dans un état d’esprit qui n’est pas désagréable ! Au final, je suis en contact avec des gens avec qui je ne parlerais pas normalement.

M.C. :  On retrouve, comme le disait la pub de Mini Wheats, à la fois ton côté givré et ton côté nutritif…

M.L. :  Ça tient aussi sûrement en grande partie aux circonstances. Notre sensibilité à tous est exacerbée. On est plus à fleur de peau et plus aiguisés en ce qui concerne le bien-être des uns et des autres. Il y a une empathie générale. On est moins cyniques. Ça ne veut pas dire perdre son sens de l’humour, son sens de la fantaisie ou son sens critique. Les gens sont contents de parler. Ils sont généreux. Ils se confient pour vrai, au-delà de comment ils vivent leur confinement. Ils ont envie de partager des réflexions déclenchées par les évènements. On peut s’avancer à dire des choses. Ce n’est pas grave si on déborde dans un sens ou dans l’autre. Ce qui est important, c’est d’avoir une interaction avec les autres. C’est devenu nécessaire. Le « Comment tu vas ? » a une portée plus large.

M.C. :  Ce n’est plus juste une formule de politesse. On s’intéresse davantage à la réponse…

M.L. :  Exactement. Ça déborde du code social, depuis longtemps. Il y a un mode d’opération de conversation qui n’est pas le même qu’avant. Il y a une écoute aussi qui n’est plus la même.

M.C. :  Il y a en ce moment un grand besoin de sortir des mauvaises nouvelles qui nous accablent. Ton émission est à la fois ancrée dans cette épreuve qu’on vit collectivement – tu ne fais pas abstraction des circonstances – et témoigne de la vie qui continue malgré tout.

M.L. :  Je ne peux pas être joyful-happy-funny-fun-fun ! Mais quand je parle avec mes enfants, avec les gens que j’aime, on ne peut pas non plus être dans la contrition tout le temps. C’est notre façon de manifester qu’on essaie d’être plus forts que ce qui se passe ! Et de donner à l’autre – dans un sens chrétien, il faut le dire ! – un peu de résilience. Le rapport au temps est complètement différent. Le mois a passé très vite. Peut-être parce que la somme d’informations est constante. Et parce que j’ai beaucoup de plaisir à faire l’émission.

M.C. :  Donc d’une quotidienne, tu passes à une émission hebdomadaire jusqu’à la mi-juin ?

M.L. :  En fait, on va la faire jusqu’en août. On va changer de case horaire en juin, pour être le samedi après-midi durant l’été. Ce sera presque six mois au total. J’aime bien l’idée d’un format d’une heure. Ça permet de prolonger les plaisirs quand il y en a. C’est un plus grand terrain de jeu qui permet un plus grand journal de confinement.

M.C. :  Les gens ont envie de t’entendre, d’entendre tes invités, d’entendre la couleur que tu vas donner à ces entretiens. Ça te rassure ?

M.L. :  Est-ce que ça me rassure ? Je ne suis pas sûr. Je ne pourrais pas répondre à ça. Là où ça me fait plaisir, c’est que ça semble faire du bien à certaines personnes. De sentir aussi que ce que tu essaies de dire, où la façon dont tu essaies de le dire est comprise. Je suis toujours étonné, peut-être parce que certains ont vu plusieurs des choses que je fais, que les gens comprennent vite le niveau ou le décalage dans mes phrases. Tu me diras que ce n’est pas si difficile à comprendre ! (Rires) C’est assez jouissif, j’avoue. Ça ne fait pas si longtemps, étrangement, que je le constate. Peut-être que j’étais moins à l’écoute avant parce que j’étais trop obnubilé par le souci de passer à travers. Mais j’essaie de ne pas trop analyser et décoder ça, parce que je risque ou de me bloquer ou d’interpréter pour les mauvaises raisons pourquoi telle affaire a fonctionné ou pas. Si je sens qu’il y a une résonance, c’est la seule réponse qui m’importe. À la radio, si ça ne marche pas, on le sait assez vite ! Je crois que les gens sentent le vrai plaisir qu’on a à faire l’émission.