Ah ! Les années 20 ! Combien de fois a-t-on entendu parler en bien de cette décennie dite des « années folles », coincée entre la Première et la Seconde Guerre mondiale ? Une décennie de fêtes, de musique, de danse et de désinvolture. Cent ans plus tard, alors que l’humanité est de retour dans les années 20, nous sommes allés voir comment La Presse couvrait les actualités artistiques en 1920.

Le jeudi 1er janvier 1920, sur le coup de minuit, les employés de l’aqueduc municipal de Montréal déclenchent une grève. La population manque d’eau. Les hôpitaux réclament l’intervention du premier ministre Lomer Gouin. Le lendemain, La Presse titre « Situation intolérable faite au public » en lettres majuscules sur huit colonnes.

Voilà qui est sans équivoque. Mais dès la page 2 du numéro, le reste de l’actualité reprend ses droits. Un texte évoque la messe de minuit du jour de l’An à l’église Notre-Dame. Une brève raconte qu’un homme s’est cassé un bras dans un accident d’ascenseur. Dans sa chronique intitulée « Au fil de l’heure », un dénommé Turc propose ses premières réflexions de l’année.

En bas de cette même page, on retrouve la suite du feuilleton de La Presse, La buveuse de rêves, « roman dramatique, mystérieux et sentimental » de l’écrivain français Paul de Garros. S’y trouve aussi une publicité de « records » musicaux en vente chez Foisy Frères, magasin de la rue Sainte-Catherine Est.

La vie culturelle dans les années 1920 ? Elle était foisonnante et diversifiée. Elle nourrissait déjà une industrie, comme on peut le voir avec la publicité du magasin Foisy. Et elle pouvait aussi susciter la controverse, comme on le constate en lisant la une de La Presse du mardi 30 mars 1920.

Ce jour-là, le débat fait rage autour d’un ordre donné à la police par le procureur général (et futur premier ministre) du Québec, Louis-Alexandre Taschereau, de fermer les cinémas et lieux d’amusement le dimanche.

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Un projet visant à fermer les cinémas le dimanche soulève un tollé.

L’enjeu n’est pas nouveau. Le clergé s’oppose depuis des années à de telles activités dominicales. L’ordre donné par Taschereau en constitue la plus récente offensive. Mais le mécontentement est très fort chez les ouvriers, rapporte le quotidien de la rue Saint-Jacques. Ces derniers possèdent peu de moyens financiers pour se divertir, et le cinéma est un loisir abordable. Les directeurs des établissements concernés se mobilisent aussi pour faire échec au projet.

L’affaire durera des années. Le tragique incendie du cinéma Laurier Palace, le 9 janvier 1927 (un dimanche !), au terme duquel 77 enfants périssent, donnera des arguments au clergé dont la position est cristallisée. L’État coupera la poire en deux. Les cinémas resteront ouverts le dimanche, mais une loi adoptée en 1928 en interdira l’accès aux moins de 16 ans durant 40 ans, lit-on dans un article de Monique Laforge publié sur le site du Centre d’histoire de Montréal.

Des vedettes qui font parler d’elles

Des vedettes ? Bien sûr qu’il y en avait en 1920 ! Et elles étaient nombreuses à s’arrêter à Montréal pour donner des spectacles.

C’est le cas du grand ténor italien Enrico Caruso. Il est de passage dans la métropole le 27 septembre 1920 et chante devant quelques milliers de personnes réunies à l’aréna Mont-Royal. Une publicité publiée quelques jours avant le spectacle indique que les prix d’entrée varient entre 2 $ et 10 $ dans une loge.

Le jour du concert, une photo de Caruso prise à son arrivée en train à la gare Windsor est publiée dans nos pages. Dans un éditorial publié le lendemain, La Presse se réjouit du succès de la soirée.

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Le grand ténor italien Enrico Caruso à son arrivée à Montréal

S’il y a encore des gens qui prétendent que les amis de l’art sont rares à Montréal, l’exemple d’hier soir les portera sûrement à se déjuger.

— Extrait de La Presse

Les Québécois sont aussi très fiers du succès international remporté par une native de Chambly, Emma Albani. Née Lajeunesse, la soprano, qui a été amie de la reine Victoria, a 72 ans et vit une retraite bien méritée lorsqu’on apprend, dans le numéro du 16 juillet, que le gouvernement anglais lui versera une rente annuelle de 100 livres.

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Courte annonce sur Emma Albani, fierté des Québécois

L’année 1920 marque aussi la mort d’Adolphe-Basile Routhier, écrivain et auteur des paroles de l’hymne national Ô Canada, dont la musique a été composée par Calixa Lavallée. Sa mort, le 27 juin, est brièvement annoncée le lendemain.

Aurore, l’enfant martyre

Dans un tout autre registre, 1920 est marquée par la tristement célèbre affaire d’Aurore, l’enfant martyre.

Bien sûr, le meurtre sordide de la petite Aurore Gagnon, 10 ans, morte le 12 février 1920, est d’abord à classer dans la section des affaires juridiques. Mais son histoire a tellement fait de bruit qu’elle est devenue un élément de culture populaire. 

Elle a fait l’objet d’une pièce de théâtre et de deux films, dont celui de 1952, réalisé par Jean-Yves Bigras, et dans lequel Janette Bertrand et Jean Lajeunesse jouaient des rôles secondaires.

Les prix Aurore de l’émission Infoman, qui saluent chaque année les pires moments du cinéma québécois, font d’ailleurs référence à la piètre qualité du film de 1952. Rappelons que les trophées Aurore ont la forme d’un… rond de poêle !

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L’un des nombreux reportages de La Presse sur l’affaire Aurore Gagnon, dite Aurore, l’enfant martyre

On n’en est pas là en 1920. C’est plutôt le procès du père d’Aurore, Télesphore Gagnon, et celui de sa belle-mère, Marie-Anne Houde, dite la marâtre, qui font la manchette. La Presse suit toutes les étapes comme on le voit dans le numéro du 22 avril. Condamnée à la pendaison, Marie-Anne Houde, qui aura donné naissance à des jumeaux durant ses premiers mois derrière les barreaux, verra sa peine commuée en prison à vie. Elle mourra d’un cancer en 1936, quelques mois après sa remise en liberté.

Théâtre, jazz, livres, radio…

Tous les arts en vogue il y a 100 ans font l’objet d’une couverture journalistique et de publicités dans les pages de La Presse, comme dans celles des nombreux autres quotidiens du Québec de l’époque.

La chronique « Dans les théâtres » de La Presse rappelle que Montréal compte maintes institutions : le Gayety (aujourd’hui le Théâtre du Nouveau Monde), le Saint-Denis, l’Orpheum, le Princess, le Canadien-Français, sans oublier le Monument-National.

Chaque samedi, à l’époque, le journal fait sa une autour d’une thématique. Parfois, les arts sont à l’honneur. Ainsi, le 30 octobre, les théâtres d’autrefois font l’objet d’un reportage. Idem avec les bibliothèques de Montréal le dernier jour de l’année.

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Reportage sur les bibliothèques de Montréal

On parle moins de radio pour la bonne raison que ce média, d’abord développé en Europe, connaît ses balbutiements en Amérique. 

Ainsi, sous le titre « Une invention scientifique remarquable », La Presse du 21 mai 1920 raconte que la veille, en soirée, un auditoire réuni au Château Laurier à Ottawa a entendu une cantatrice qui chantait au dernier étage de l’édifice Marconi, rue William à Montréal. On évoque alors une expérience de téléphonie sans fil à l’aide du « Magnavox ».

De nombreux numéros de La Presse évoquent aussi la musique jazz, qui commence à être en vogue. Mais c’est bien davantage dans des publicités que dans des articles que ce mot fait son apparition. Nous sommes alors au tout début de la prohibition aux États-Unis et, bientôt, de plus en plus de fêtards américains viendront visiter Montréal, ville ouverte en matière d’alcool. Dans la foulée, les spectacles de jazz se multiplieront.

Enfin, l’année culturelle 1920 se clôt avec un évènement important au parlement de Québec, où l’artiste Charles Huot peint une fresque au plafond de la salle des délibérations de l’Assemblée législative. 

PHOTO FRANCESCO BELLOMO, FOURNIE PAR FONDS ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC

Le plafond peint par Charles Huot à l’Assemblée nationale

« M. Charles Huot, qu’on appelle de bon droit notre peintre national, est à terminer l’installation d’un immense tableau d’histoire qui couvre la plus grande partie du plafond de cette salle », écrit le correspondant de La Presse à Québec dans le numéro du 13 novembre. Intitulée Je me souviens, la fresque, officiellement inaugurée le 27 décembre 1920, existe toujours à l’Assemblée nationale.