Fabien Cloutier tourne en ce moment les prochaines saisons des émissions Boomerang (à TVA) et Léo (sur Club illico), dont il est l’auteur. Le comédien, dramaturge et metteur en scène animera cet été un gala ComediHa ! à Québec et sa plus récente pièce, Bonne retraite, Jocelyne, sera reprise à La Licorne du 4 au 15 juin ainsi qu’en septembre, avant une tournée au Québec.

Marc Cassivi : Je voulais te parler du fameux classement alphabétique des artistes. Ma collègue Véronique Lauzon a fait un tableau des apparitions d’artistes dans les principaux talk-shows et émissions qui en accueillent. Et je t’annonce que parmi ceux qu’on a le plus vus, il y a Guylaine Tremblay chez les femmes, et toi chez les hommes. Est-ce que ça t’étonne ?

F.C. : [Il rit.] Oui, je suis étonné !

M.C. : Guylaine Tremblay, c’est moins étonnant…

F.C. : Ça m’étonne parce que je dis souvent non. La première raison pour laquelle je fais ça, c’est parce que je sais que je vais avoir du fun. Quand je me fais inviter à Week-end de bois avec Peter MacLeod, j’y vais parce que c’est pas loin de mon chalet. Quand je suis invité à Bonsoir bonsoir !, j’y vais parce que je connais Wauthier et que je sais qu’il travaille fort sur son show. Je le fais pour lui aussi !

M.C. : Pourquoi on t’invite autant, à ton avis ?

F.C. : J’imagine que ça plaît à quelqu’un ! Il y a peut-être le fait que je joue, mais que j’écris aussi. On m’invite parce que je peux parler d’un projet de différentes manières. Je peux faire des talk-shows plus « funny » ou Deux hommes en or.

M.C. : Les émissions savent que tu es un invité « payant ». Qu’on ne s’ennuiera pas avec toi…

F.C. : Je pense que oui. Je suis plus à l’aise d’aller à Tout le monde en parle que d’avoir mon téléphone toujours à portée de la main pour rappeler chaque jour que j’ai une pièce à l’affiche. Il n’y a rien comme la télé pour aller chercher du monde. Il y a aussi le fait que ça fait plaisir à du monde. On en reçoit, des courriels de gens qui nous disent qu’ils étaient contents de nous voir à telle ou telle émission. Je trouve que je le dois au public. Mais je vais te dire : j’arrive à un moment où je vais surtout continuer de parler de mes créations. Sur d’autres pans de ma vie, je pense que les gens en savent assez. Je ne sais pas trop ce que je peux dire de plus et qui est intéressant. Mes autres secrets sont secrets ! [Rires]

M.C. : Quand tu es invité au chalet de La vraie nature, c’est dur de refuser. C’est une tribune intéressante, qui rejoint plus d’un million de personnes…

F.C. : Oui, il y a la tribune. Mais c’est surtout pour le fun. J’ai hésité au début. J’ai accepté à condition que ce soit avec des gens avec qui j’ai peu ou pas travaillé, et qui viennent d’un autre univers. Ça ne me tentait pas d’aller jaser du métier avec d’autres acteurs. Il n’y a aucune autre raison qui m’aurait amené à être dans un chalet avec Isabelle Boulay et Réjean Thomas, que j’ai trouvés extrêmement sympathiques ! Moi, je trouve le tour de m’amuser dans ces shows-là. Y’a des artistes, et je les comprends, qui ne sont pas bien dans ça. Ils n’aiment pas ça. Je ne dirai pas que pour moi, c’est un loisir, mais j’ai souvent assez de fun.

M.C. : Dans quelle mesure il y a une part de stratégie là-dedans pour toi ? Pendant des années, tu as fait ton métier dans l’anonymat. Maintenant que tu es dans la lumière, est-ce que ça te donne plus de liberté ensuite pour créer et pour financer tes projets ?

F.C. : Tout à coup, quand t’arrives avec un projet, t’es une figure connue, t’es une figure appréciée, et tu deviens le véhicule de ton affaire. Il y a d’autres auteurs qui veulent écrire des trucs et jouer dedans, et parce qu’ils commencent, ils se font dire qu’ils auront au mieux un troisième rôle. Parce qu’ils ne sont pas le véhicule qui peut aider à propulser leurs mots et leur histoire. Moi, je suis un véhicule pour mes projets. On devient aussi responsables de gens qui travaillent avec nous. C’est loin d’être juste une histoire d’ego.

M.C. : Il y a cinq ans, tu n’étais pas un « A », pour revenir au classement alphabétique des vedettes. Est-ce que tu en profites pendant que ça passe ?

F.C. : Non. Je dis non à du travail. Je suis sélectif. Il faut que j’aie le temps et de l’intérêt. Un talk-show, ça te prend quelques heures dans ta journée et tu peux répandre ta nouvelle. J’en connais, des créateurs qui ont mon âge, ou des plus jeunes, et qui sont sur les réseaux sociaux parce que personne ne parle de leur projet. Ils se battent pour qu’on sache que leur show existe. Ils ont de la misère à avoir de la place dans les médias. Si je ne vais pas à telle émission, je n’ai pas l’impression de prendre leur place. À la limite, quand je vais dans un talk-show et qu’on dit que je suis un dramaturge ou un metteur en scène, peut-être – et je ne veux rien exagérer – mais peut-être que ça fait un peu rayonner l’idée du théâtre québécois.

M.C. : Peut-être que ça incite des gens à aller au théâtre…

F.C. : Quand on dit que Léo est inspiré de deux pièces de théâtre [Scotstown et Cranbourne], ça fait exister cette réalité-là. Il y a des gens qui me connaissent par la télé et qui s’étonnent de voir que je fais d’autre chose ou que j’ai gagné un prix du Gouverneur général. « Ah ben ! T’écris des livres ! »

Y’a une fille qui m’a écrit pour me dire qu’elle n’avait jamais vu son chum lire avant qu’il s’achète un de mes livres. Quand tu vas dans un talk-show et que tu parles simplement de qui tu es, de ton métier et de ta façon de créer, tu démocratises l’idée de ce qu’est l’art. Peut-être que tu influences aussi le discours sur les « crisses d’artistes »…

M.C. : La semaine dernière, je t’ai vu à l’émission Partir autrement en famille, à TV5, avec ta blonde et tes enfants. Jusqu’où tu ouvres la porte des médias à ta vie familiale ?

F.C. : Je me suis posé beaucoup de questions sur les enfants à l’écran. Je n’exagère pas. Je ne mets pas trop de photos sur les réseaux sociaux, par exemple. Mais je vais à l’épicerie avec mes garçons et ils se font regarder comme mes enfants. Leur vie change de toute façon. Est-ce que ça me tente de partir 10 jours en famille, au Bélize, avec un cachet et qu’on s’occupe de tout ? Oui, ça me tente.

M.C. : Mais je t’ai quand même vu faire du yoga sur la plage… [Rires]

F.C. : Même ça, ça me tentait ! Ce qui me tentait pas, on l’a pas vu à la télé !

M.C. : Je reviens à la prémisse de l’entrevue. Est-ce que tu crains la surexposition médiatique ?

F.C. : Cette semaine, j’ai refusé trois très belles propositions de travail. Si ça me nuit d’être dans les médias, je ne le sens pas. Il y a sûrement quelqu’un qui ne m’aime pas quelque part et qui trouve qu’on me voit trop – je l’ai déjà lu dans une chronique du Voir. Est-ce que je suis surexposé ? Je le suis peut-être pour certains. Il y en a qui m’aimaient mieux quand j’étais pas connu. J’étais pauvre, tabarnak ! Ils trouvaient ça plus le fun quand je faisais des petites salles. Pas moi ! Je faisais 15 $ pour jouer devant 30 personnes. La première fois que j’ai été invité en Europe, parce que ma pièce Billy avait été traduite en allemand, j’ai dû emprunter de l’argent à un mécène. Ça fait pas 10 ans !

M.C. : Est-ce que les cachets de tes apparitions dans des talk-shows te permettent de t’accorder plus de liberté pour créer ?

F.C. : C’est sûr. Tu vas à Bonsoir bonsoir ! et même si ce n’est pas si payant que ça, c’est quand même l’équivalent de ce que tu faisais en deux semaines avant ! N’ayons pas peur des mots. Faire 20 000 $ par année, je sais c’est quoi. Avoir un revenu familial de 40 000 $ aussi. C’est ce que j’ai connu la majorité de ma vie de créateur. Tu fais deux ou trois années de télé et les gens pensent que tu roules sur l’or ! L’exception, elle est maintenant. Être présent médiatiquement, être vu dans l’œil du public, ça peut t’apporter autre chose : faire des chroniques, animer, pour ensuite revenir à l’écriture et au jeu. Il y a aussi le fait que les gens ont besoin de te connaître pour mieux comprendre ce que tu fais. Le degré de ton humour, par exemple. En te livrant, tu aides à ce qu’on saisisse mieux ton œuvre, que ce soit du théâtre, de la télé ou de l’humour. Et oui, tu es plus libre.