Ils connaissent la gloire. Ils sont célèbres à l'international. Pourtant, ces Montréalais restent méconnus au Québec et reçoivent peu d'attention médiatique. Rencontre avec ces stars qui ne demandent qu'à briller dans leur Belle Province.

Le jour où nous organisons la séance photo, Alexander Castillo Vasquez considère qu'il vit une des plus belles journées de sa carrière. Il s'apprête à recevoir le Prix international de la SOCAN, ex aequo avec Arcade Fire.

«C'est super spécial pour moi parce que je le reçois à la TOHU, qui est située à Saint-Michel, le quartier où j'ai été élevé. Ce n'était pas facile pour moi à l'époque... alors, ce prix est super symbolique», dit celui qui a créé des chansons pour des superstars comme Justin Bieber, Shakira, Nicki Minaj, Selena Gomez, Ke$ha, Ricky Martin et Pitbull.

Pour lui, recevoir un prix à la maison lui fait autant plaisir que ses cinq nominations aux Grammy Awards. «Chaque fois que j'ai été nommé aux Grammys, j'ai été renversé. Ç'a toujours été un rêve de faire partie de ce milieu. Et ça semble tellement inaccessible lorsque tu commences, parce qu'il n'y a pas de chemin tracé à suivre. Tu ne sais pas par où aller pour atteindre ton rêve», dit celui qui a, entre autres, gagné «Best Latin pop album» pour El Dorado de Shakira, en 2017.

Loin des médias

La joie d'être reconnu par ses pairs canadiens est, entre autres, partagée par l'artiste Sandra Chevrier, dont les collectionneurs s'arrachent les oeuvres.

«Au Québec, je pense que les gens connaissaient Corno, peut-être aussi Marc Séguin, mais c'est tout. Et ils sont connus parce qu'on leur a donné la chance de se faire connaître. Mais ce n'est pas juste Corno, l'art au Québec», explique Sandra Chevrier, artiste-peintre.

«C'est rare que nous ayons la chance de nous retrouver dans les médias, et je trouve ça dommage. Il y a immensément de talent ici, et je pense que nous avons beaucoup à dire et à offrir. Les gens croient encore que le milieu des arts visuels est très froid et intimidant, mais c'est faux», ajoute Sandra Chevrier, dont les oeuvres se vendent jusqu'à 30 000 $.

«Un bébé step à la fois»

Tout comme Alexander Castillo Vasquez, Snails - de son vrai nom Frédérik Durand - a été récompensé par la SOCAN cette année, soit du prix Musique électronique. Dans sa maison de Saint-Henri, il a lui aussi un prix Grammy grâce à sa collaboration avec Skrillex And Diplo, Holla Out.

Et qui est Snails? Un jeune homme de Sainte-Émélie-de-l'Énergie qui a su se tailler une place enviable dans le monde de l'«electronic dance music», surtout aux États-Unis.

Ses chansons ont plus de 50 millions d'écoutes en streaming et il est suivi par plus de 418 000 personnes sur Facebook (en comparaison: Marie Mai a 274 000 abonnées sur ce réseau social et Patrice Michaud en a 31 000).

Même si son étoile brille au pays de l'Oncle Sam, il reconnaît qu'il est peu connu au Québec. «Je commence tranquillement, mais c'est un bébé step à la fois», dit Frédérik Durand, en riant.

«Un jour, un jour, je vais faire Tout le monde en parle. Je me dis que je dois travailler plus fort, faire des projets encore plus gros, être encore plus connu et ils vont finir par m'inviter. Je vois ça comme un défi.»

Yanick Paquette, un des dessinateurs vedettes de DC Comics (SupermanBatmanWonder Woman...), ne refuserait pas non plus une invitation à Tout le monde en parle ou toute autre émission télévisuelle.

Sauf qu'il préfère - de loin - que ses collègues soient invités avant lui. «Lorsqu'on veut parler de bédé, j'applaudis lorsqu'on m'exclut. Je n'ai pas de problème avec ça. Un, parce que je suis un fan de bédé québécoise. Deux, parce que c'est un marché qui est assez petit et qui mérite d'être protégé», dit celui qui a dessiné Wonder Woman: Earth One Vol. 2, qui sort demain, de son atelier établi à Hochelaga-Maisonneuve.

À quand une invitation?

À la critique que les médias s'intéressent toujours aux mêmes personnalités, ces artistes établis répondent qu'ils attendent l'invitation, tout comme de nombreux collègues. Ils seraient les premiers heureux à faire partie du star-système québécois.

«Nos familles sont fières lorsqu'elles nous voient dans les médias d'ici. Je viens d'un petit village, alors pour nous, c'est impressionnant», confie Snails.

Alexander Castillo Vasquez renchérit: «C'est sûr que j'aimerais faire partie de l'histoire du Québec. Je suis né ici, tous mes amis sont ici.»

Photo tirée du site shakirauniverse.blogspot.com

Alexander Castillo Vasquez avec Shakira

CÉLÈBRES ET MÉCONNUS

Sandra Chevrier

Le succès international est arrivé du jour au lendemain pour Sandra Chevrier. En 2013, le propriétaire et commissaire de la galerie C.O.A., Jean-Pascal Fournier, demande à l'artiste si elle peut lui laisser quatre de ses oeuvres pendant 48 heures, puisqu'il souhaite voir s'il arrive à les vendre en ligne.

«Il m'a dit: "Je vais voir la réaction des gens." Quarante-cinq minutes plus tard, il m'a appelée pour me dire qu'il avait vendu les quatre dans quatre pays différents. Ça a commencé comme ça. En quelques jours, j'avais des offres de galeries de partout dans le monde», explique l'artiste peintre.

Il s'agissait d'oeuvres de sa série «Les cages» qui connaît toujours un grand succès.

«Par mes oeuvres, je veux parler de la pression qu'on se met en tant qu'être humain à essayer d'être parfait dans tout ce qu'on entreprend. J'utilise surtout l'image du superhéros dans son côté plus humain, j'essaie de montrer son humanité et sa fragilité, par exemple lorsqu'il se relève d'un combat qu'il a perdu.»

«Le but est d'envoyer comme message que si les superhéros ont le droit à la défaite, on devrait aussi se donner le droit à l'erreur.»

Parmi les personnalités qui ont aidé à propulser sa carrière, il y a la chanteuse Alicia Keys et son mari, le rappeur Swizz Beatz. Admirateur de son travail, il l'a invitée à plusieurs occasions à son événement d'art et de musique No Commission, présenté dans plusieurs grandes villes du monde : «Ça m'a amené beaucoup de clients auxquels je n'aurais pas eu accès.»

La peinture, encore et toujours

Lorsqu'elle a commencé la série «Les cages superhéros», elle avait embrassé la technique mixte. Mais avec le temps, elle a eu envie de revenir à ses premières amours: la peinture.

«Je peins tout à la main, maintenant, ce qui est bien sûr plus long. Normalement, lorsque des artistes ont du succès, ils essaient de trouver des raccourcis et des manières plus rapides pour arriver à leurs fins. Mais moi, je me suis compliqué la vie... et maintenant, ça me prend trois à quatre fois plus de temps pour réaliser une oeuvre, mais la satisfaction est beaucoup plus grande. Je me reconnais beaucoup plus dans ce que je fais maintenant», ajoute celle qui s'envolera dans les prochains jours pour la Californie, où elle présente une exposition solo au MOAH, le Musée d'art et d'histoire de Lancaster.

Photo Edouard Plante-Fréchette, La Presse

Sandra Chevrier

Alexander CastilloLe petit Alexander, 3 ans, jouait de la batterie et d'autres percussions dans les spectacles de salsa de sa mère. Déjà à cet âge précoce, il vivait pour le rythme.

Plusieurs années plus tard, alors que ses amis se précipitaient au retour de l'école pour retrouver leur console Xbox, lui préférait sa console de son pour créer des «beats».

«C'était un jeu pour moi. Je n'aurais jamais pensé qu'on pouvait gagner sa vie avec ça», dit Alexander Castillo Vasquez, dont la mère est d'origine colombienne et le père, d'origine dominicaine.

«Puis, à 16 ans, je me suis assis sérieusement avec mes parents et je leur ai expliqué que je savais que c'était fou comme choix, mais que je voulais lâcher l'école et m'essayer dans ce milieu. Puisqu'ils voyaient que c'était vrai que je travaillais fort en musique et que je prenais ça au sérieux, ils m'ont encouragé à poursuivre mon rêve», dit le jeune homme de 27 ans.

Premier chèque, premier contrat

Il se souvient très bien de la fierté qu'il a ressentie lorsqu'il a reçu son premier chèque pour les chansons Ambitieux et C'est pas grave, qu'il avait composées pour K'Maro et qui se retrouvent sur l'album 01.10, sorti en 2010.

Deux ans plus tard, il était sous contrat avec le producteur bien connu Dr. Luke, en Californie.

«Quand on m'a mis sous contrat, c'est sûr que ç'a été un grand moment dans ma vie. Ça a changé ma vie! Deux semaines après, j'habitais à Los Angeles.»

En général, il crée uniquement la musique des chansons qu'il propose à des artistes. Mais il lui arrive aussi de participer à l'écriture de celles-ci. Ce fut entre autres le cas pour I Like It That Way de Selena Gomez, Trini Dem Girls de Nicki Minaj et Been You de Justin Bieber.

Travail et discipline

«Plus que le talent, une grande partie du succès est la discipline et le travail, j'en suis persuadé. C'est sûr qu'il te faut un minimum de talent. Mais après ça, avec ton minimum de talent, si tu as beaucoup de discipline et que tu as envie de travailler, tu vas développer ce talent-là», dit-il humblement.

Qu'est-ce qui le démarque des autres? «Je crois que je comprends bien le marché américain et le marché latino. On entend les deux sons dans mon travail», ajoute celui qui, après avoir vécu plusieurs années à Los Angeles et en République dominicaine, a décidé de rentrer vivre à Montréal.

Photo Edouard Plante-Fréchette, La Presse

Alexander Castillo Vasquez

Yanick PaquetteIl suffit de faire une petite recherche sur l'internet pour s'apercevoir rapidement que Yanick Paquette est une véritable star dans le milieu du comic book. Il a dessiné Batman, Spider-Man et des X-Men, pour ne nommer que ceux-là.

Avant d'être un des dessinateurs exclusifs de DC, il en a été un chez Marvel. Il explique que plusieurs grands dessinateurs se retrouvent à travailler pour une de ces deux prestigieuses sociétés, puisque les occasions d'emploi dans ce domaine ne sont pas si nombreuses.

«Et puis, lorsque tu es un grand nom chez DC ou Marvel, ça paye très bien. Ça attire donc les meilleurs d'un peu partout dans le monde: mes collègues sont turcs, italiens, philippins, brésiliens et américains. On se connaît tous, ça devient une compétition mondiale.»

Au début de sa carrière, Yanick Paquette souhaitait également écrire les histoires, mais maintenant qu'il travaille avec des «scénaristes légendaires» comme Grant Morrison, Alan Moore et Scott Snyder, il n'en voit plus l'intérêt.

«Ces scénaristes-là, avec les années, s'arrachent mon horaire. Alors, je suis moins enclin à dire que je vais écrire mes propres projets quand j'ai la chance de travailler avec des scénaristes de cette pointure.»

Les projets qu'ils trouvent les plus emballants sont ceux qu'il peut créer de A à Z. Ce fut entre autres le cas de Terra Obscura. Ou, en ce moment, de Wonder Woman Earth One.

«Wonder Woman a toujours existé, mais on est repartis à zéro. On a pu décider des variations sur le sujet, j'ai pu "redesigner" ses vaisseaux, réinventer ses costumes. On peut se l'approprier totalement et offrir complètement une nouvelle version», explique Yanick Paquette qui, 48 heures après l'entrevue, se trouvait à New York, dans un événement où des admiratrices s'étaient déplacées d'aussi loin que le Japon pour le voir.

Émouvants voyages

Dans la longue liste des pays qu'il a visités pour participer à des événements, il y a, uniquement dans la dernière année: le Brésil, l'Afrique du Sud, l'Italie, l'Argentine, l'Espagne et l'Indonésie.

«Tu te retrouves à l'autre bout du monde et il y a des gens qui savent pertinemment qui tu es et ce que tu fais. Ils arrivent avec toute ton oeuvre et il y en a qui sont bouleversés...», explique le dessinateur.

Il poursuit: «C'est émouvant, parce que je suis chez moi, dans mon studio, avec ma petite lumière, lorsque je crée. Et ensuite, tu t'aperçois qu'il y a des gens en Indonésie qui sont émus en te voyant... c'est touchant.»

Photo Edouard Plante-Fréchette, La Presse

Yanick Paquette

Snails

«Je me suis dit: "Snails, ça sonne badass"», raconte Frédérik Durand pour expliquer son nom d'artiste, qu'il a créé en 2012.

Actif dans le milieu de l'EDM (electronic dance music), il a notamment trouvé son public en inventant un style musical qu'il nomme du «vomistep»: «Ça sonne très dégueulasse, mais c'est un son qui est très original. Très organique, texturé, moins robotique, plus funky. Ce son-là m'a vraiment permis de me démarquer, parce qu'il est unique.»

Depuis ses débuts, il a joué plus de 300 fois dans des festivals parmi les plus prestigieux: Coachella, en Californie, EDC Mexico, au Mexique, Sunset Music Festival, en Floride, et Osheaga, à Montréal.

«Mon marché est aux États-Unis, entre autres parce que l'électronique et les festivals sont vraiment en essor là-bas et ça continuera toujours de l'être.»

«Les festivals vont facilement chercher 100 000 personnes. Mais la vague commence à toucher le Québec. Les jeunes en entendent de plus en plus et ils aiment ça», ajoute Frédérik Durand.

L'an dernier, il a offert son premier album, The Shell, qui a atteint le sommet des ventes sur iTunes dans la catégorie EDM, et ce, pendant une semaine. On y trouve plusieurs collaborations avec des artistes qu'il adore, dont Waka Flocka Flame et Collie Buddz.

SLUGGTOPIA

Il a aussi lancé SLUGGTOPIA, son propre festival, à Denver, au Colorado, où il a joué à guichets fermés en 2017. Vendredi dernier, il a présenté la deuxième édition de ce festival: «C'est un gros step pour nous le festival. En plus, ç'a toujours été mon rêve de jouer là [la salle Red Rocks] et nous l'avons fait sold out à 10 000 personnes.»

Cet automne est bien rempli pour Snails: il sortira un EP le mois prochain et il entame sa deuxième tournée nord-américaine qui l'amènera à se produire dans plus de 50 villes.

«J'essaie aussi vraiment de m'impliquer plus dans ma ville [Montréal]. Cet été, on a parti le label de musique Slugz Music. Pour ça, nous avons fait un lancement avec un spectacle gratuit à Montréal, ce que je n'avais pas fait dans les six dernières années», dit celui qui sera au MTELUS le 23 novembre prochain.

Photo Edouard Plante-Fréchette, La Presse

Snails (Frédérik Durand)