Le prix Nobel de littérature Günter Grass, conscience morale de l'Allemagne post-nazisme dont il était l'écrivain le plus connu, est mort lundi à 87 ans à Lübeck, ville du nord du pays où il résidait.

Sur sa page internet, frappée de la mention «Günter Grass 1927-2015», son éditeur Steidl, qui a annoncé ce décès dans un tweet, a publié des photos noir et blanc de l'écrivain si reconnaissable: épaisse moustache, pipe toujours allumée et lunettes baissées sur le nez.

Selon la «Maison Günter Grass» à Lübeck, le prix Nobel de littérature 1999 est décédé dans une clinique, des suites d'une «infection».

Homme de gauche, réputé pour ses prises de position polémiques, il était l'écrivain allemand de la seconde moitié du XXe siècle le plus connu à l'étranger. Longtemps compagnon de route des sociaux-démocrates et proche du chancelier Willy Brandt, il a pourfendu les omissions de la classe dirigeante d'après-guerre sur le nazisme.

Un positionnement qui donna un écho d'autant plus fort à ses révélations tardives dans son autobiographie Pelures d'oignons en 2006: ancien membre des Jeunesses hitlériennes, il avait été enrôlé en 1944 dans les Waffen SS.

Günter Grass a «accompagné et marqué comme personne l'histoire de l'Allemagne d'après-guerre avec son engagement artistique, politique et social», a estimé la chancelière Angela Merkel, citée par son porte-parole.

Il était en effet à la fois une figure incontournable du paysage littéraire allemand et un acteur du débat public national qu'il contribuait à secouer par ses prises de position souvent polémiques.

«Le plus grand écrivain de notre époque»

Son chef d'oeuvre reste Le tambour (1959), l'histoire d'Oskar Matzerath, petit garçon qui décide de ne plus grandir et dont l'instrument résonne des soubresauts du nazisme, de la guerre et du monde violent des adultes. Succès planétaire, le livre sera adapté au cinéma par Volker Schloendorff et reçut la Palme d'or à Cannes en 1979, puis l'Oscar 1980 du meilleur film en langue étrangère.

L'écrivain naît en 1927 à Dantzig - Gdansk de l'actuelle Pologne -, ville du fameux «corridor» à l'origine de l'invasion de 1939, d'une mère d'origine cachoube (minorité slave de Prusse) et d'un modeste commerçant allemand.

Après la chute du régime hitlérien, il connaît l'errance, puis le miracle de la reconstruction dans une République fédérale anti-communiste et matérialiste. Il suit un apprentissage de sculpteur, puis séjourne à Paris dans les années 50 et se décide pour une carrière d'écrivain.

Dans l'Allemagne prospère des années 60, traversée par la contestation étudiante puis le terrorisme rouge, Günter Grass se veut contestataire, mais dans un sens réformiste.

En janvier 1993, il quitte avec fracas le Parti social-démocrate (SPD) devenu à ses yeux trop conservateur, ce qui ne l'empêchera pas de s'engager en 1998 en faveur du chancelier SPD Gerhard Schröder.

«Je perds un ami» et une figure «paternelle» qui «m'a accompagné pendant plus de trente ans comme un interlocuteur intelligent, mais qui était surtout un conseiller critique», a déclaré M. Schröder dans le quotidien populaire Bild. Günther Grass était «le plus grand écrivain de notre époque», a-t-il ajouté.

Il reçoit en 1999 le Prix Nobel de littérature couronnant l'ensemble de son oeuvre, 27 ans après un autre écrivain allemand politiquement engagé, Heinrich Böll.

La dernière des prises de positions polémiques de Grass datait d'il y a trois ans. La publication dans un quotidien allemand d'un poème dans lequel il défendait l'Iran et estimait qu'Israël menaçait, avec ses armes atomiques, «la paix mondiale déjà si fragile», avait provoqué une tempête de réactions. Israël l'avait déclaré persona non grata.

Les hommages rendus à l'écrivain et à l'homme public sont à la hauteur de ses prises de position.