Le jour où Sophie Prégent a annoncé à son entourage qu'elle songeait à remplacer Raymond Legault au poste de président de l'Union des artistes (UDA), tous ont essayé de la dissuader. Pourquoi tu fais ça? Tu ne travailleras plus jamais! Ça va nuire à ta carrière! La comédienne a écouté les arguments et leur chapelet de mauvais présages. Mais son idée était faite. Et même si tout se bousculait plus rapidement que prévu, Sophie Prégent a décidé de plonger et d'accepter la proposition de Raymond Legault, qui quittait la présidence à mi-mandat pour des raisons de santé. C'était en octobre dernier.

Je la retrouve cinq mois plus tard, dans la salle de réunion de conseil d'administration, où elle a commencé à siéger en 2011.

Mince comme un fil, ses longs cheveux blonds aussi droits que des stores verticaux, le teint légèrement hâlé, vêtue d'une veste, d'un pantalon cigarette et de bottes cavalières, la nouvelle présidente de l'UDA ne fait pas très présidentielle. Côté look, du moins.

Par contre, l'énergie nerveuse qui l'anime, la détermination qui module sa voix, sa gestuelle un peu brusque et impatiente en font l'incarnation parfaite de la PDG dévouée, concentrée, pressée et efficace.

«En fin de compte, dit-elle, toutes les choses négatives annoncées ne se sont pas réalisées. C'est le contraire qui s'est produit. J'ai été appelée pour des super auditions et je n'ai jamais cessé de travailler.»

Pour l'instant, Sophie Prégent est donc présidente intérimaire, et le restera jusqu'aux élections, en mars 2015, où elle devra se faire officiellement élire. En attendant, elle se prépare et, surtout, se familiarise avec une immense machine qui compte 8113 membres, 4452 stagiaires et des centaines d'interlocuteurs et d'acronymes.

La tâche est colossale, me dit-elle, mais en même temps très simple: améliorer les conditions de travail des membres. Heureusement, depuis les années 80, la présidence de l'UDA est assistée par une directrice générale qui gère la cuisine quotidienne, ainsi que les 80 employés du siège social, sur le boulevard René-Lévesque.

Les bureaux de la directrice Sylvie Brousseau sont d'ailleurs plus spacieux que celui de la présidente, qui ne s'en formalise pas. Pour le reste, les négos, les ententes collectives, les orientations stratégiques et les représentations auprès des organismes et du gouvernement, c'est Sophie Prégent qui s'en charge.

Il y a quelques années, elle avait participé à sa première ronde de négos sectorielles. Selon une source, elle s'est révélée être une négociatrice d'une redoutable efficacité.

«La négo, dit-elle, c'est un gros trip. J'adore ça, même si, pour un acteur, c'est à double tranchant, vu que tu négocies avec ceux qui te feront travailler ou pas. En même temps, ce n'est pas vrai que nos relations avec les producteurs sont si tendues que ça. On est tous à la recherche d'un terrain d'entente.»

Née en 1964 à Montréal, dans le nord de la ville, Sophie Prégent a pensé un temps qu'elle rentrerait dans la police, comme son père. Elle avait même préparé sa demande pour la Gendarmerie royale du Canada, mais en fin de compte, c'est le théâtre, découvert sur les planches du Collège l'Assomption, qui l'a emporté.

Sophie Prégent n'est pas pour autant de celles pour qui les portes des écoles de théâtre se sont ouvertes par enchantement. Elle a mis trois années et autant d'auditions avant d'être acceptée à l'École nationale de théâtre.

«Il y avait des gens dans ma classe qui avaient décidé d'auditionner à la dernière minute et qui ont été acceptés du premier coup, alors que moi, ça faisait trois ans que j'attendais. Sauf qu'aujourd'hui, ils ont disparu de la carte, alors que moi, je suis encore là.»

Fille de théâtre

C'est le téléroman Le retour, où elle a incarné pendant six ans le personnage de Marielle Landry, qui l'a fait connaître du grand public. Mais avant cela, on l'oublie souvent, Sophie Prégent était une fille de théâtre, très présente sur les scènes du TNM et de l'Espace Go, interprétant Roxanne dans Cyrano de Bergerac ou la mère d'Yseult dans Tristan et Yseult.

«Ma carrière au théâtre s'est arrêtée le jour où j'ai appris que mon fils de 2 ans était autiste. Après le diagnostic, ça me semblait impossible de tourner le jour et de jouer au théâtre le soir.»

Ces jours-ci, elle tourne encore de jour dans des séries comme Un sur 2 ou d'autres séries qui ne sont pas encore à l'antenne, comme Mensonges ou Nouvelle adresse. Et quand elle ne tourne pas, elle plonge dans ses dossiers et tente de se familiariser avec des dizaines d'acronymes.

«Peu de temps après ma nomination à la présidence, je suis allée passer une audition pour Les mardis de Béatrice. Je n'ai finalement pas eu le rôle, mais j'ai trouvé ça très sain de me retrouver en ligne avec un paquet d'autres actrices. J'ai beau être la présidente, je suis comme tous les autres membres. Je passe des auditions et j'espère obtenir des rôles et, des fois, je ne les obtiens pas, et c'est correct. C'est ça, le métier.»

Dernièrement, une membre de l'UDA a tenté de lancer une cabale contre une audition en ligne organisée par les producteurs de Série noire, qui cherchaient à recruter de jeunes talents parmi le vaste public. On ne s'improvise pas acteur, c'est un métier, plaidait la belligérante indignée. Sophie Prégent s'était gardée de prendre position.

Elle le fait ce matin: «D'abord, tous les membres de l'UDA, donc tous les acteurs professionnels, étaient invités à passer l'audition en ligne. C'était leur choix de le faire ou pas, mais ils n'étaient pas exclus, dit-elle. Et puis, je m'excuse, mais la distribution d'une série, c'est la prérogative de la production. Moi, je n'aime pas qu'on vienne me dire comment faire ma job, et je n'irais jamais dire à un producteur ou à un réalisateur qui il doit engager comme acteur.»

Je lui fais remarquer que le fond du litige portait sur la définition d'un acteur. «Je veux bien, répond-elle, mais un acteur, ce n'est pas un médecin, dans la mesure où on n'arrive pas nécessairement à ce métier-là par la formation. Moi, c'était essentiel pour moi de passer par quatre ans de formation, mais ça n'a pas été le cas pour Dominique Michel ou pour Marina Orsini. Est-ce qu'elles sont moins actrices que moi? J'en doute. Acteur, c'est un métier, c'est vrai, mais à mon avis, c'est avant tout le métier qui fait de toi un acteur.»

«Beaucoup de travail à faire»

Il y a quelques mois, au milieu d'une négo avec les producteurs de film et de télé, Sophie Prégent a appelé une vingtaine d'acteurs les plus en vue du métier pour qu'ils viennent faire valoir leurs besoins et les bémols de leurs conditions de travail aux producteurs. Tous, sans exception, ont accepté.

«Ça n'a pas été la révolution, mais au moins les gens se sont parlé et se sont entendus sur certains points. Il y a encore beaucoup de travail à faire. On tourne trop vite. Le marché du doublage est plus concurrentiel que jamais, et l'arrivée de joueurs comme Netflix change le paysage. On doit s'adapter. Notre télé n'est pas assez ouverte à la diversité ni aux femmes actrices qui travaillent moins et sont toujours moins payées, et ma mission, c'est d'en parler pour que le message finisse par se rendre.»

À son arrivée à la tête de l'UDA, le syndicat avait eu 18 présidents, dont 3 femmes seulement. Sophie Prégent est donc la quatrième, après Mia Riddez, Louise Deschâtelets et Nicole Picard. C'est un rôle pour lequel elle n'a pas été formée ni même préparée aussi longtemps qu'elle l'aurait voulu. Mais à voir Sophie Prégent aller, ce ne sera pas long que ce rôle lui ira comme un gant.