Dimanche, les Mohawks de Kahnawake vont célébrer le Jour du Souvenir. Une occasion, pour la plupart, de se rappeler leurs années de service sous le drapeau... américain.

C'est un jeudi soir animé à la filiale 219 de la Légion royale canadienne de Kahnawake. Entre les chips et les crottes de fromage, un groupe de femmes fêtent le «shower» d'une copine. Assis au bar, de vieux monsieurs sirotent leur bière, pendant que le jukebox crache le Gangnam Style du rappeur coréen Psy.

Au fond de la salle, on remarque bientôt un mur de portraits stratégiquement éclairés. Il y en a plus d'une centaine. Peut-être 150. Ce sont des photos d'anciens soldats de la réserve, avec des noms mohawks typiques comme Montour, Deere, McCumber, Goodleaf ou Leborgne. Rien d'étonnant: nous sommes à la Légion canadienne. Rien d'étonnant sauf ceci: la plupart portent un uniforme... de l'armée américaine.

Eh oui. Bien peu le savent, mais la vaste majorité des Mohawks de Kahnawake à avoir fait l'armée l'ont fait sous la bannière des États-Unis. «Au moins 95%» affirme sans hésiter le président de la Légion, Louis Stacey, un vétéran de la US Navy qui nous reçoit à bras ouverts.

Comment expliquer ce phénomène étonnant? Un simple accident du destin, affirme M. Stacey.

Pour les Mohawks, qui étaient là bien avant l'arrivée des Européens, la frontière canado-américaine n'a aucune valeur. Ces autochtones vont et viennent entre les deux pays depuis toujours, que ce soit pour vivre ou pour gagner leur vie.Or, il se trouve que beaucoup de Mohawks de Kahnawake étaient en train de travailler aux États-Unis comme ouvriers de la construction (iron workers) quand la Première et la Deuxième Guerre mondiale ont éclaté. C'est ainsi qu'ils sont tout naturellement allés rejoindre l'armée américaine.

Depuis, c'est une affaire de père en fils, explique Louis Stacey. «Dans mon cas, c'est exactement ce qui s'est passé. Mon père était dans la US Navy, alors je suis allé dans la US Navy.»

«Je voulais être avec les autres»

Pour la majorité d'entre eux, ce fut un choix volontaire. Étant autochtones, rien ne les obligeait à s'enrôler. Mais pour ces jeunes à l'âme de «warriors», l'armée valait bien d'autres emplois.

C'est le cas de Matthew Montour qui est, à 82 ans, l'un des plus vieux vétérans de la réserve.

En 1951, Mathew Montour a été recruté par l'armée américaine pour la guerre de Corée. Il aurait pu profiter de son statut pour passer son tour, mais il a quand même signé pour la US Army

«Quand je suis allé pour m'inscrire, ils m'ont dit qu'en tant qu'Amérindien, je pouvais être dispensé. Mais j'ai choisi d'y aller quand même. J'avais 19 ans. Je voulais être avec les autres , raconte M. Montour, qui a quitté trois ans plus tard, avec le grade de caporal.Idem pour Robert Montour (aucun lien de parenté) une armoire à glace qui s'est porté volontaire dans les Marines, où il a servi près de 20 ans.

«Un matin, je me suis réveillé en me disant que je devais faire quelque chose de ma vie, raconte cet ancien opérateur de machinerie lourde. J'ai demandé à mon père de m'amener au bureau de recrutement de Plattsburgh et je me suis engagé. Tant qu'à s'enrôler, autant le faire avec la meilleure armée du monde.»

Mohawks contre Mohawks?

Ce phénomène a quand même donné lieu à d'étranges situations. Au moment de la crise d'Oka en 1990, beaucoup de «Warriors» étaient en fait des vétérans de l'armée américaine . Pour éviter tout affrontement entre «frères de sang», les rares Mohawks de l'armée canadienne avaient été mobilisés le plus loin possible du conflit. «Je pense qu'on les avaient envoyés dans l'Ouest», dit Louis Stacey.

Robert Montour est convaincu que la crise d'Oka a accentué le sentiment de «non appartenance» des Mohawks à l'armée canadienne. «Ils avaient leurs canons pointés sur la réserve. Je veux dire: qui voudrait rejoindre ces gens là?» lance-t-il.

Plus diplomate, Louis Stacey évite de tracer une ligne. Selon lui, les Mohawks s'engagent généralement pour «défendre l'Amérique du Nord» plutôt qu'un pays en particulier. À voir tous les drapeaux américains et les logos des Bruins de Boston qui flottent sur la réserve, il est toutefois clair que Kahnawake a toujours eu un petit faible pour l'Oncle Sam.

Pour les Marines

Contrairement aux indiens Navajos du film Windtalkers, les Mohawks n'ont pas été utilisés pour communiquer des langages codés dans leur langue ancestrale. Pas plus qu'on ne leur a donné des emplois en hauteur, en vertu de leur réputée résistance au vertige.

En revanche, il appert qu'au moins la moitié d'entre eux ont fait leur service avec les Marines.

Une raison en particulier? «Les Marines font de la bonne promotion, il faut leur donner le crédit, avance Louis Stacey. Ils se vendent comme une vraie machine de guerre, et ça c'est un discours qui marche bien avec les Mohawks!»

À l'heure actuelle, ils seraient une demi-douzaine de la réserve à servir dans l'armée américaine, en Irak et en Afghanistan. Kahnawake compte par ailleurs deux survivants de la Seconde Guerre mondiale, quelques anciens de la guerre de Corée, des vétérans du Vietnam et du Kosovo. «Les Mohawks ont participé à toutes les guerres depuis l'arrivée des Européens», souligne Louis Stacey.

Il y en aura sûrement d'autres dans l'avenir. Il reste encore de la place sur les murs de la filiale 219.