Sidi Larbi Cherkaoui est de retour en ville. Un bienfait pour le corps autant que pour l'esprit. Avec Sutra, pièce grandiose, magique et mémorable, concoctée pour 17 moines shaolin dont un de 12 ans, et lui-même.

Cela constitue un événement en soi tant on aime retrouver l'époustouflant danseur qu'il est. Créée à Londres au printemps 2008, Sutra arrive à Montréal dans une forme rodée et aboutie. Elle recèle d'insolites trouvailles, respecte profondément les postures et les mouvements du kung-fu.

Le chorégraphe flamand impose d'emblée une maturité telle, qu'on s'étonne toujours de son âge, 33 ans à peine. Dans Sutra, on retrouve la vision humaniste d'un monde transculturel, peuplé de voix et de musique précieuse jouée sur scène, qu'il présente dans la trilogie entamée par Foi (2003) et Myth (2008) et dont le dernier volet - Babel - sera prêt en 2010. On retrouve la musique, ici les cordes de Szymon Brzóska interprétées par cinq musiciens derrière un filin transparent, et on retrouve la voix, celle des moines qui poussent leurs cris, celle du moinillon qui évolue entre eux et face à eux.

Avec ses constantes caractéristiques, Sutra est surtout une pièce unique. Et magique. Intégrer des moines shaolin dans une pièce contemporaine, en tournée mondiale, était en soi une première, possible uniquement parce que le maître du monastère est versé dans les arts, mais aussi, surtout, parce que Cherkaoui pénètre et respecte l'esprit shaolin. Ayant grandi au carrefour de plusieurs cultures et traditions, il a fait du mixage son atout en restant toujours attentif à celles d'autrui. L'autre, c'est soi aussi, nous dit-il. Suffit de trouver l'énergie pour assurer lien et partage.

Or, dans Sutra, l'énergie demeure le maître mot. Beaucoup d'énergie, de mouvements, de postures empruntées aux animaux le tigre, la grue, le poisson... typiques du kung-fu qui cherche à s'adapter toujours à son environnement. Seize jeunes moines magnétiques et vibrants, toujours en groupe, interprètent leurs postures avec la force brute, mais aussi avec leur fluidité calme et envoûtante, avec des sauts et des bonds, mais jamais sans perfection du rythme et de la coordination.

Rompus à la discipline martiale du kung-fu et au pacifisme de l'esprit, toute leur gestuelle est danse à l'état pur, perfection du mouvement, donc de l'énergie, dans l'espace. Dans l'esprit shaolin comme pour Cherkaoui, le sacré se déploie grâce au mouvement et dans l'action.

Face au groupe des moines adultes, un moinillon de 12 ans accompagne Cherkaoui dans un duo complice très touchant. L'homme, l'enfant, des individus face à la collectivité humaine. Une idée magnifiquement exploitée qui donne à réfléchir à travers plusieurs scènes aux fondements de la vie humaine.

Sutra nous laisse bouche bée, devant l'ingéniosité de la scénographie, devant l'écriture chorégraphique adaptée au propos et non l'inverse, devant l'audace iconoclaste, l'épure, l'harmonie. Et, fait majeur, devant l'incroyable trouvaille des boîtes!

Vingt et une caisses en bois de taille humaine imaginées par l'artiste Antony Gromley. Le génie de la scénographie est de porter le sens du propos. Les caisses sont remuées pour former tour à tour, au gré d'une incroyable versatilité, des figures diverses exploitées pour la chorégraphie, un temple, un mur, un pont, une série de cercueils, des maisons, une forêt d'arbres...

Sidi Larbi Cherkaoui réussit ici une pièce majeure, inoubliable, qui deviendra un sûtra, c'est-à-dire un classique, un livre de chair et de bois.

Sutra, de Sidi Larbi Cherkaoui, présenté par Danse Danse, salle Maisonneuve de la Place des Arts jusqu'au 8 novembre, 20h.