La Grande Bibliothèque est un très grand succès et est perçue comme tel: une forme de bonheur... et de défi pour Guy Berthiaume, le nouveau patron de la plus grande institution culturelle du Québec

En juin dernier, après un processus «très discret», Guy Berthiaume, universitaire discret lui-même, a remplacé Lise Bissonnette à la direction de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ).

 

Sans faire de bruit, l'ancien vice-recteur à la Recherche et à la Création de l'UQAM a traversé le boulevard De Maisonneuve pour s'installer comme président-directeur général de la Grande Bibliothèque, qui fête cette semaine ses cinq ans. Après avoir accueilli depuis 2005 plus de 14 millions de visiteurs.

Des deux choses qui ont vite sauté aux yeux du nouveau patron, la première s'est avérée «une surprise fabuleuse». «D'abord, j'ai été frappé de voir à quel point l'institution était perçue de façon positive dans tous les milieux», raconte Guy Berthiaume, Montréalais qui, après un doctorat en histoire grecque de l'Université Paris VIII, s'est spécialisé dans l'administration de la recherche universitaire. «La situation est très différente de ce que j'ai connu dans les universités, des entreprises utiles et nécessaires qui amènent un progrès incroyable, mais autour desquelles il y a toujours du scepticisme, du cynisme même, dans la population.»

L'autre aspect aurait pu, pour beaucoup, apparaître comme une «mauvaise» surprise; Guy Berthiaume, lui, y voit un défi, voire une assise de la force de la jeune institution. «Bibliothèque et Archives nationales est une organisation d'une grande complexité structurelle. En même temps, elle est unique au monde: nulle part ailleurs on ne trouve cette fusion entre une bibliothèque nationale, une bibliothèque publique et les archives nationales. Cette complexité de mandats finit par être notre force car on rassemble toutes les vocations documentaires dans une même institution.»

La clé de voûte de l'institution, explique son président, est son système informatique - cinq millions de visites virtuelles par année! «Nous sommes à l'avant-garde car nous n'avons pas à créer des passerelles entre des institutions indépendantes les unes des autres.» Le prochain (grand) pas informatique constituera en la mise en opération d'un outil informatique permettant de faire une recherche à la fois dans les livres et dans les archives. Position d'avant-garde ici aussi, mais ce n'est plus le cas du Québec quand on évalue le progrès à l'aune de la numérisation des livres. Opération sur laquelle BAnQ met «un accent majeur», même si son action directe en la matière ne touche que les livres «hors droits», c'est-à-dire publiés il y a plus de 50 ans.

Guy Berthiaume n'a rien de l'alarmiste, mais ses propos n'en dépeignent pas moins l'urgence de la situation. «À la limite, la numérisation se pose comme une question de survie pour la culture et la science québécoises. La France s'apprête à investir 750 millions d'euros dans la numérisation. Éventuellement, si nos livres ne sont pas là, les gens vont aller chercher ailleurs...»

La Grande Bibliothèque - qui donne accès, par prêt électronique, à un grand nombre de livres... anglais - vient de conclure une entente avec certains libraires sur un mode de prêt électronique à la littérature courante. «Les livres patrimoniaux, nous les avons déjà; ce que les gens veulent, maintenant, c'est le dernier Dany Laferrière.» Trois semaines pour le lire: après, L'énigme du retour disparaît de votre lecteur.

Quant aux lieux physiques de la Grande Bibliothèque, ils approchent déjà de leur niveau maximal d'utilisation, avec plus de trois millions d'usagers annuellement. Et depuis le 1er avril, réductions obligent, la GB est fermée le lundi. «Nous voulions garder une qualité de service pour que la fréquentation de la Grande Bibliothèque reste une expérience agréable. Si les gens doivent faire la queue comme à l'urgence d'un hôpital, ce n'est plus une expérience agréable.» Objectif 2010-2015: rouvrir le lundi.

À cet objectif, que d'aucuns pourraient qualifier de «métro-centriste», s'en ajoute un autre qui touche les sept anciens centres régionaux des Archives nationales. «Il faut se donner les moyens pour que notre centre d'archives de Sept-Îles puisse rendre des services aux bibliothèques de la Côte-Nord», dira Guy Berthiaume qui n'hésite pas à appeler lui-même le 819 ou le 418 pour savoir comment ça va. «Nous voulons faire voyager nos expositions, augmenter le nombre de conférences et de rencontres, pour que, partout, chaque lieu devienne un centre à part entière de Bibliothèque et Archives nationales du Québec.»

Avec vue virtuelle imprenable sur l'îlot Voyageur...