Gilles Carle s'est imposé comme le créateur d'une oeuvre des plus colossales de notre cinématographie, oeuvre qu'il disait non sans fierté «arrachée à la force du poignet».

Il a remporté plus de quarante distinctions nationales et internationales, dont le prix Albert-Tessier (1990), la plus haute distinction accordée par Québec dans le domaine des arts, la rosette de la Légion d'Honneur française (1995), la Palme d'Or du court métrage du Festival de Cannes 1989 (pour ONF 50 ans), des dizaines de Génies et de Canadian Film Awards.On lui doit une vingtaine de longs-métrages de fiction pour le cinéma et la télévision, au moins autant de documentaires d'intérêt surtout sociologique ou historique, plusieurs courtes fictions, des téléséries et d'innombrables publicités, dont le mémorable «Lui, y connaît ça!» avec Olivier Guimond.

À titre de président de la Société des auteurs, Carle a mené une lutte acharnée contre la censure (la «bien pensante» étant à ses yeux la pire de toutes) et pour la liberté de création. «Ce sont les films que j'ai vraiment voulu faire qui ont eu le plus de succès, disait-il. Chaque fois qu'on m'a imposé un sujet, ou qu'on a voulu trop jouer dans ma cour, j'ai frôlé la catastrophe.»

Il avouait être «un homme angoissé», sans se considérer comme un esthète. «Je suis seulement quelqu'un qui fait des films. À l'écran comme dans la vie, aux paysages grandioses, je préfère cent fois les lieux mystérieux, secrets, dramatiques, vrais, où les choses naissent, bougent et meurent.»

Né le 31 juillet 1929 à Maniwaki, deuxième des sept enfants d'un modeste «employé en produits laitiers», Carle a passé son enfance à Northfield, au bord de la rivière Gatineau, où sa famille a déménagé, avant de s'installer en 1935 dans «l'Abitibi des mines», qu'il a aimée d'amour toute sa vie.

Enfant et adolescent, c'est devant les «p'tites vues» projetées dans le soubassement de l'église Saint-Michel de Rouyn, puis devant ses premiers «vrais» films en 35 mn au cinéma local (des Rin Tin Tin et King Kong en passant par les comédies et les westerns) qu'il se prend de passion pour le septième art.

Diplômé en imprimerie, gravure et photographie de l'École des arts graphiques, Gilles Carle fréquente l'École des beaux-arts de Montréal en 1945 et fait un stage d'études en histoire de l'art à Paris. En attendant sa vraie vocation, il devient tour à tour laitier, camionneur, draveur, bûcheron, mineur, comptable, dessinateur, danseur, figurant et correcteur d'épreuves. Mais les arts visuels et la littérature l'attirent. Il fonde, en 1953, avec un groupuscule qui se réunit autour du poète Gaston Miron, les Éditions de l'Hexagone, vouées à la publication de poètes canadiens-français.

Entre 1955 et 1960, il écrit des critiques, des nouvelles et de la poésie et travaille au département d'art graphique de Radio-Canada.

Au début des années 60, il entre à l'Office national du film comme artiste graphiste mais, attiré par le cinéma, il fait ses premières armes en réalisation, avec une série de courts métrages documentaires. C'est d'ailleurs en détournant un projet de court documentaire sur le déneigement qu'il tourne son premier long métrage de fiction, La vie heureuse de Léopold Z. Puis, se voyant dans l'impossibilité d'en tourner d'autres, il quitte l'ONF en 1966.

Durant la décennie suivante, sa carrière prend un envol fulgurant et lui vaut de devenir le cinéaste québécois le plus connu à l'étranger. Outre La vie heureuse de Léopold Z, ses films les plus marquants sont La tête de Normande Saint-Onge, Le viol d'une jeune fille douce, Red, Les mâles, La vraie nature de Bernadette et La mort d'un bûcheron. Il y a aussi ses adaptations des classiques de la littérature québécoise, tels Les Plouffe et Maria Chapdelaine, et son documentaire sur les joueurs d'échecs, Jouer sa vie, qui a connu une diffusion et un succès internationaux.

Depuis 1991, il était atteint de la maladie de Parkinson. Gilles Carle avait pour compagne l'actrice et chanteuse Chloé Sainte-Marie, qui a joué dans ses films Miss Moscou, La guêpe, La postière et Pudding chômeur.