Elle avait 11 ans, elle était maigrichonne, elle avait les cheveux très courts, elle était vêtue tout modestement, en tunique, et on lui a dit, là, sur-le-champ, qu'elle avait le rôle. On était en 1951 et elle, Yvonne Laflamme, allait devenir Aurore l'enfant martyre.

Elle ne se fait pas d'illusion. Si elle a décroché le rôle, c'est parce qu'elle avait le physique qu'il fallait. Un physique à mille lieues des profils recherchés aujourd'hui, à son avis.

«Quand j'ai vu le film pour la première fois, j'ai eu honte. Je trouvais que je jouais faux, je trouvais que c'était kétaine, cette musique d'orgue qui ponctuait les moments les plus dramatiques. Des années plus tard, j'ai été plus indulgente et je ne me suis plus trouvée aussi laide. Même que je me trouve très correcte. D'autant plus que ça m'énerve, de nos jours, de voir que l'on choisit toujours l'enfant au visage parfait pour jouer au cinéma ou à la télévision.»

À l'époque, Yvonne Laflamme ne connaissait rien au cinéma, ne savait même pas qu'il y avait des coupes et du montage. Elle n'avait pas de coach sur le plateau et on lui donnait le jour même les répliques qu'elle aurait à dire dans les heures qui suivaient.

Le cinéma n'était pas ce qu'il était, dans le temps. Yvonne Laflamme ne s'est jamais fait une gloire d'avoir incarné Aurore et ses parents n'en faisaient aucun cas non plus. Chaque matin, elle prenait l'autobus pour aller à ses tournages. Son cachet total: 300 $, sans droit de suite. «Si ça avait été le cas, avec toutes les fois où on a revu le film à la télé, je serais riche aujourd'hui!»

Yvonne Laflamme n'a jamais mangé de savon - «c'était du sucre d'érable, et c'était très bon !» - mais oui, elle a été giflée. «La comédienne qui jouait ma belle-mère était d'une grande gentillesse, alors elle ne me donnait que de toutes petites gifles. Il fallait reprendre la scène, encore et encore. À un moment donné, je lui ai lancé: «Vous savez, tant qu'à avoir dix petites tapes, j'aimerais mieux en avoir une grosse, mais une seule!»

Yvonne Laflamme a continué de jouer jusqu'à sa trentaine. Ironiquement, deux ans après Aurore, elle a joué une petite fille dans Coeur de maman, un film sur une grand-mère maltraitée. Le destin, le destin...

Dans la vraie vie, Yvonne Laflamme a eu des enfants et a élevé au surplus ceux de sa soeur, qui est morte tragiquement dans un accident.

Aujourd'hui, Yvonne Laflamme se décrit comme une «grand-mère qui tricote» (elle a déjà eu une boutique de laine) et qui attend son neuvième petit-enfant.

Même si le cinéma est loin derrière elle, elle n'en jette pas moins un regard particulier sur la façon dont sont utilisés les enfants. «Quand je vois des milliers d'enfants se mettre en file pour aller passer des auditions, moi, je trouve ça pathétique. Imaginez tous les coeurs brisés! Jamais je n'aurais exposé mes enfants à cela, d'autant plus que c'est mettre dans la tête d'un enfant qu'il a plus de valeur qu'un autre parce qu'il est choisi.»