La décision du gouvernement conservateur de consacrer 25 millions à la création de prix internationaux plutôt que de réinvestir dans l'exportation de la culture canadienne fait l'unanimité... contre elle!

Les milieux culturels et artistiques ne lâcheront pas prise. Ils dénoncent l'idée du ministre du Patrimoine canadien, James Moore, de constituer des prix internationaux, au coût de 25 millions, en lieu et place d'une aide accrue à la production et à la diffusion à l'étranger.

 

La grogne aurait toutefois été entendue puisque le ministre Moore s'apprêterait à faire une annonce au sujet des tournées internationales, a appris La Presse. De même, le ministre des Affaires étrangères Lawrence Cannon rencontrera des représentants des milieux culturels bientôt.

N'empêche qu'une fois l'an, à Toronto, les Prix du Canada pour les arts et la créativité récompenseront une douzaine d'artistes émergents internationaux oeuvrant dans quatre disciplines: musique, danse, théâtre et arts visuels. Les premiers prix seraient coiffés d'une bourse de 100 000 $, soit «la plus importante récompense dans le monde», selon l'un des initiateurs du projet David Pecaut.

Les milieux culturels québécois et canadiens estiment que les 25 millions - servant à créer un Fonds de dotation dont les bénéfices alimenteront les prix - auraient dû être réinvestis dans des programmes d'exportation de la culture pour compenser les pertes des compressions de 45 millions effectuées l'an dernier. «On vient d'immobiliser 25 millions, mais où est l'aide pour les compagnies qui vont en tournée, demande le président de l'UDA, Raymond Legault. Le plus dérangeant, c'est de récompenser plutôt que d'investir dans les arts et la culture. Les tournées et l'exportation, ça rapporte et ça fait vivre tout un secteur.»

D'ailleurs, David Pecaut est du même avis. Le cofondateur du festival Luminato de Toronto, organisme totalement indépendant des Prix du Canada, souligne-t-il, croit que le secteur privé pourrait aider les artistes à voyager à l'étranger. «Il y a beaucoup à faire dans les arts et on doit faire plus, dit-il. Il ne s'agit pas d'accorder ces prix et ne rien faire d'autre. À mon avis, il faut soutenir davantage nos artistes qui vont à l'international.»

La directrice du Regroupement québécois de la danse, Lorraine Hébert, souligne que les 25 millions auraient été très utiles aux artistes pour faire face à la crise économique.

«Nous voilà rendus dans un pays imaginaire, lance-t-elle. Dans la situation de crise actuelle, si nos compagnies ne sont pas capables de maintenir le rythme de création et de production, ce sont beaucoup d'artistes qui se retrouveront à la rue.»

Anciens programmes

Audrey Cadillon, porte-parole du marché des arts de la scène, CINARS, ne critique pas les Prix du Canada en soi, mais l'absence de reconnaissance de ce qui fonctionnait bien dans les anciens programmes fédéraux.

«Le ministre Moore dit que cinq des sept millions de Routes commerciales étaient mal dépensés, mais c'est justement aux deux autres millions que l'on tient! Ils étaient distribués directement aux organisations et ne passaient pas des les délégués commerciaux inutiles», explique-t-elle.

Même à Toronto, la TAPA (Toronto Alliance for the performing arts) continue de réclamer des fonds pour faire voyager les artistes locaux.

«Pourquoi a-t-on besoin d'une compétition internationale? Est-ce que notre secteur n'a pas été assez clair en faisant savoir aux politiciens que cet argent devait aller au Conseil des arts», se demande la directrice générale Jacoba Knappen.

Ce regroupement a toutefois obtenu une rencontre avec les instigateurs des Prix, M. Pecaut et Tony Gagliano, afin de s'assurer de la participation des artistes torontois au concours.

Les prix Nobel des arts

M. Pecaut souligne que l'un des buts des Prix est de faire venir ici des centaines de producteurs étrangers pour leur présenter, notamment, des artistes canadiens.

«La compétition est mondiale, dit-il, mais nous nous assurerons que les artistes canadiens y auront accès. Autour de la cérémonie, nous pourrons présenter des artistes aux producteurs mondiaux. Nous voulons créer un véritable marché.»

L'homme d'affaires, associé au Boston Consulting Group à Toronto, ajoute qu'un OBNL, avec un conseil d'administration composé de représentants de tout le milieu culturel canadien, serait responsable des prix.

«Je tiens à souligner que mon collègue et moi travaillons sur ce projet, comme sur Luminato, à titre bénévole. L'argent ne nous a pas été versé et ne le sera pas», affirme-t-il.

Parmi les autres objectifs des récompenses internationales, M. Pecaut ajoute qu'il s'agit de construire la «marque canadienne» dans le monde et d'implanter un volet éducatif important en collaboration avec les écoles nationales artistiques.

«Mon rêve, dit-il, c'est que dans 25 ans, les Robert Lepage ou Karen Kain du futur disent que tout a commencé avec l'obtention du Prix du Canada. Pour les jeunes Canadiens, la possibilité de gagner un prix en art, ce serait comme pour un hockeyeur de jouer pour l'équipe nationale.»