Il existe quelques rares romans qui s'adressent aussi bien aux adultes qu'aux adolescents avertis. Sherman Alexie, romancier autochtone de l'État de Washington, en écrit, et avec succès. Son dernier s'appelle Flight, et il a gagné le National Book Award en 2007 avec un autre roman qui traverse des groupes d'âge, Confessions of a Part-Time Indian («Les confessions d'un Indien à temps partiel»).

Si vous avez flairé l'humour dans ce titre, vous avez raison. Alexie adore jouer avec les stéréotypes ethniques. «Les Pakistanais me prennent pour un Pakistanais, les Italiens me prennent pour un Italien», m'a-t-il raconté un jour à Vancouver, dans une rencontre d'écrivains. «Je suis un groupe ethnique polyvalent à moi tout seul.» Je ne lui ai pas demandé un échantillon de son ADN pour déterminer de quoi il est fait, mais c'est sûr que Spots («les boutons»), 15 ans, le héros de Flight, est divisé - ou plutôt tiraillé - entre son père, indien, et sa mère, irlandaise. Et Spots vit ce métissage assez mal.

À commencer par son acné. L'héritage de son père, à part sa disparition, est une sensibilité accrue à l'acné, ce malheur des ados. Pas question d'impressionner les filles avec un visage comme celui-là. Et son lourd héritage va au-delà des boutons. Une fois son père disparu, sa mère succombe à un cancer. Spots connaîtra une vingtaine de foyers d'accueil avec des résultats en général désastreux. Au moment où on le rencontre, il est en train de rejeter toute tentative d'amitié de son dernier foyer. Lorsque son nouveau père lui souhaite une bonne journée, Spots lui répond un «va te faire foutre» bien senti.

C'est que ce garçon tendre voudrait être un dur. Plusieurs voient au-delà de son masque de dureté. Le lieutenant Dave de la police de Seattle, la ville de Spots, refuse d'être violent avec lui, même lorsque le garçon lui court après. Et quand son seul ami lui propose de braquer une banque avec un pistolet de paintball et un vrai petit calibre, Spots est tout de suite preneur.

Là, les aventures de cet Indien commencent. Il prend une balle dans la tête pendant le vol et, au lieu de tout simplement mourir, il plane et traverse des siècles d'histoire américaine et aussi les épisodes de son histoire personnelle. Un fantasme? Oui, mais guidés par Sherman Alexie, nous y entrons sans peine. Le Spots voyageur a du talent pour habiter des êtres hostiles. On dirait une histoire de karma ou d'expiation. Il revient dans le corps d'un chasseur d'Indiens. Plus dramatique encore, il revient dans le corps de son père. Ici, le fantastique est au service de l'apprentissage de ce garçon qui peine à devenir un homme. On pourrait reprocher à l'auteur une fin un peu «conte de fées» mais, finalement, Spots mérite bien son bonheur.

FLIGHT

Sherman Alexie, traduit par Michel Lederer. Albin Michel, 216 pages, $26.95.