Arman Méliès a signé deux musiques sur Bleu pétrole, dernier album d'Alain Bashung. D'aucuns considèrent ce Français parmi les plus doués fabricants de chansons révélés en France ces dernières années. À peu près inconnu des Québécois, à l'exception de ceux qui l'ont découvert l'automne dernier au festival Pop Montréal, Méliès pourrait élargir le cercle de ses fans aux Francos.

Cette moustache de desperado, ce regard torve, cette dégaine de conquérant de l'Ouest que l'on observe sur la pochette de Casino, tous ces signes sont trompeurs. On reste un peu surpris par ce physique plus délicat que prévu, cette voix plutôt claire, cette curiosité intellectuelle et cette sensibilité aux antipodes de l'ordinaire.

Arman Méliès a 36 ans. Il s'est mis à la musique assez tard. Longues études de géographie pour se rendre compte qu'il n'avait ni l'intention de devenir géographe ni d'enseigner la matière. Cette formation lui a tout de même permis d'amasser un solide bagage de généraliste. Après avoir longtemps tergiversé, il a fini par se lancer. Avec raison: cet univers sonore des plus fins est pavé d'une substance poétique magnifiquement déclinée sur les relations privées, sur les élans fantasmatiques qu'elles déclenchent, les ivresses qu'elles engendrent, les pensées qu'elles suscitent, les dents de scie qui les consument.

Je fais la rencontre d'Arman Méliès au sortir de la loge d'Alain Bashung à l'Olympia, un mardi de juin. Puisqu'il reste une paire d'heures avant le concert du maître, et que Méliès a roulé quelques dizaines de kilomètres afin d'y assister aussi, nous traversons la rue pour nous installer dans un bar à vins de son choix. Arrosée de rouge, la série de questions se transformera progressivement en une conversation presque normale.

Dans l'univers de Bashung

Le hasard a bien fait les choses, car Méliès est un artisan de Bleu Pétrole, dernier opus de Bashung. Préalablement, son aîné l'a régulièrement cité parmi ses coups de coeur de la mouvance francophone. Dominique A a fait de même. «Ils m'ont fait une pub pas possible» dit l'interviewé, encore étonné de ces louanges.

«Bashung, estime-t-il néanmoins, est un homme curieux, c'est un fouineur. Il est toujours resté en éveil. Après la sortie de mon premier album (pourtant confidentiel), il m'avait invité dans le cadre d'une carte blanche à La Villette. Longtemps après ce spectacle, il m'a contacté de nouveau car il était à la recherche de nouveaux collaborateurs. Il voulait sortir du côté orchestré et hermétique de L'imprudence pour aller vers quelque chose de plus mélodique, plus accessible.»

«Il m'a fourni des maquettes guitare-voix qu'il avait faites, je m'en suis inspiré ou non, puis je lui ai proposé des choses. Pendant 8 ou 10 mois, on se rencontrait toutes les trois ou quatre semaines pour écouter ensemble ces propositions. Un jour, il m'a dit qu'il partait en studio et qu'il allait tenter de faire quelques-unes de mes musiques. Gérard Manset et Joseph d'Anvers ont fait les paroles de mes musiques - Vénus et Tant de nuits. En fait, la méthode de travail de Bashung consiste à piocher sur différentes propositions; prendre une phrase ici, un bout de musique là, une sorte de patchwork. Quand j'ai fait les textes, c'était déjà trop tard, il les avait commandés à d'autres.»

Est-il besoin d'ajouter que ça motive de travailler pour Alain Bashung?

«Mais, s'empresse de préciser Méliès, ça ne fait pas peur car il est très gentil, très doux et très accueillant. Avant de le rencontrer, je croyais m'écrouler devant lui. Or voilà, j'ai vu qu'un très grand peut rester très humain, très simple.»

Pop sophistiquée

Avant l'excellent Casino qui vient de sortir de ce côté de l'Atlantique, deux albums ont été créés par Arman Méliès: Néons blancs et asphaltine, plutôt confidentiel, et un deuxième plus remarqué, Les tortures volontaires (qui inclut Ivres, un duo avec Alain Bashung).

«Ces albums comportaient des influences folk anglo-saxonnes, beaucoup de guitare acoustique et une facture d'ensemble très «ambient», vaporeuse, assez intimiste. Sur scène, c'était très cérébral. J'étais seul avec ma guitare sèche, mes petits samplers, mes petits bidouillages en direct. Cette fois, j'avais envie de quelque chose de plus arrangé, plus sophistiqué. Mais aussi de plus nerveux, plus physique. Je voulais un contenu qui me permettrait ensuite de me lâcher sur scène, de m'oublier un peu.»

Ainsi, Antoine Gaillet a réalisé ce superbe album aux mélodies ennuagées, serti de cuivres, anches, cordes, machines électroniques, instruments électriques ou percussions actionnées à l'huile de bras. Toutefois, la version scène de Casino (et du répertoire antérieur) s'annonce moins léchée, la formation que préconise le chanteur est beaucoup plus rock: guitares, claviers, basses synthétiques, batterie.

Plus viscéral musicalement, Casino puise aussi dans le centre affectif de son auteur.

«Les textes, indique-t-il, sont souvent reliés aux relations humaines, alors que ceux des albums précédents étaient moins intimes. C'était un peu plus général, il y avait une part de vécu personnel, mais j'avais un peu peur de me livrer. Il y a maintenant cette intention de me livrer en maquillant un peu, de partir d'expériences vécues en travaillant l'écriture afin que cela ne devienne pas une confession sans intérêt.»

On lui donnera raison: nul besoin d'en savoir plus long pour aller au coeur d'Arman Méliès.

Ce soir, 19h, Place Loto-Québec. Demain, 22h, au Cabaret Juste pour Rire, avec Navet Confit.