En intelligence artificielle (IA), qui anime les produits comme ChatGPT, la Chine a du retard sur les États-Unis. Mais pour ce qui est de former les scientifiques à l’origine des nouvelles technologies humanoïdes, c’est la Chine qui est en avance.

Selon une étude, la Chine a, selon certaines mesures, éclipsé les États-Unis en tant que vivier de talent en IA : elle produit près de la moitié des meilleurs chercheurs au monde. Or, seulement 18 % de cette élite vient d’universités américaines, selon l’étude de MacroPolo, un groupe de réflexion de l’Institut Paulson, qui promeut des liens constructifs entre les États-Unis et la Chine.

Bond en avant

L’étude montre un bond pour la Chine : elle produisait un tiers des meilleurs talents en 2021. Les États-Unis, en revanche, font du surplace. L’étude se fonde sur la provenance des chercheurs ayant présenté des articles à la Conference on Neural Information Processing Systems de 2022. NeurIPS, comme on l’appelle, porte sur les avancées dans le domaine des réseaux neuronaux, à la base des récents progrès en IA générative.

Le déficit en talent se creuse depuis près d’une décennie. Durant les années 2010, les États-Unis ont profité de l’arrivée de nombreux brillants étudiants chinois, venus faire leur doctorat dans des universités américaines. La plupart sont restés aux États-Unis. Or, l’étude montre que cette source se tarit : un nombre croissant de chercheurs chinois restent en Chine.

PHOTO LUCAS SCHIFRES, ARCHIVES BLOOMBERG NEWS

Des employées de Google à Pékin. Les États-Unis ont profité de l’arrivée de nombreux brillants étudiants chinois, venus faire leur doctorat dans des universités américaines. Or, cette source se tarit : un nombre croissant de chercheurs chinois restent en Chine.

Les prochaines années seront déterminantes, car la Chine et les États-Unis se disputent la primauté en IA. Cette technologie peut accroître la productivité, renforcer les industries et stimuler l’innovation, donnant aux chercheurs une importance géopolitique cruciale.

L’IA générative cause une ruée vers le talent et l’investissement dans le secteur techno, dans la Silicon Valley et en Chine. Des entreprises américaines comme Google et OpenAI sont au cœur de cette effervescence et demeurent très attractives pour les chercheurs chinois. Mais les tensions sino-américaines croissantes pourraient changer la donne.

Plus axés vers la fabrication

La Chine produit beaucoup de talent en IA parce qu’elle a beaucoup semé. Depuis 2018, le pays a ajouté plus de 2000 programmes d’IA de premier cycle, dont plus de 300 dans ses meilleures universités, dit Damien Ma, directeur général de MacroPolo.

Ces programmes ne sont pas fortement axés sur la technologie qui a mené aux percées récentes par des robots comme ChatGPT. « Ils se concentrent sur les applications industrielles et manufacturières, moins sur l’IA générative qui domine actuellement l’industrie américaine de l’IA », nuance-t-il

Les récentes percées de l’IA, celles où on voit des aptitudes quasi humaines, viennent des États-Unis, mais une bonne partie du travail a été faite par des chercheurs formés en Chine.

Selon l’étude, les Chinois représentent aujourd’hui 38 % des meilleurs chercheurs en IA travaillant aux États-Unis. Les Américains ? C’est 37 %. Il y a trois ans, c’était 27 % de Chinois et 31 % d’Américains.

Ces chiffres montrent que les chercheurs nés en Chine sont essentiels à la compétitivité des États-Unis en IA.

Matt Sheehan, spécialiste de l’IA chinoise au Carnegie Endowment for International Peace

Cela étant, ces données montrent aussi que les États-Unis restent attractifs. « Nous sommes le leader mondial de l’IA parce que nous continuons à attirer et à retenir des talents du monde entier, mais surtout de Chine », a-t-il déclaré.

Les grandes entreprises et universités américaines tiennent pour acquise l’abondance de chercheurs chinois, estime Pieter Abbeel, professeur à l’Université de Californie à Berkeley et fondateur de Covariant, une firme d’IA et de robotique. « C’est dans l’ordre des choses, tout simplement. »

PHOTO BALAZS GARDI, THE NEW YORK TIMES

Pieter Abbeel, professeur à l’Université de Californie à Berkeley et fondateur de Covariant

Jusqu’à récemment, l’état-major américain ne s’inquiétait pas trop du fort contingent chinois en IA. D’une part, la plupart des grands projets d’IA n’étaient pas classés secret défense : d’autre part, on estimait préférable que les meilleurs cerveaux soient aux États-Unis. De plus, une grande partie de la recherche en IA est publiée, ce qui atténuait les inquiétudes.

Puis, l’administration Trump a interdit le sol américain aux étudiants de certaines universités chinoises liées à l’armée. Et la pandémie a restreint le flux d’étudiants chinois au pays. Malgré cela, les données montrent qu’un grand nombre de brillants étudiants chinois dans le domaine de l’IA continuent à venir étudier aux États-Unis.

Mais ce mois-ci, un ingénieur chinois chez Google a été accusé d’avoir tenté de transférer une technologie d’IA – une architecture de micropuce de pointe – à une entreprise établie à Pékin, qui l’a payé en secret, selon l’acte d’accusation.

Espionnage

Aujourd’hui, le grand nombre de chercheurs chinois en IA travaillant aux États-Unis pose un dilemme aux décideurs politiques. Ils s’inquiètent de l’espionnage chinois, mais ne veulent pas tarir la source de tant d’ingénieurs informaticiens de haut niveau.

« La Chine est presque le chef de fil en IA, grâce à ses chercheurs », estime Subbarao Kambhampati, chercheur en IA à l’Université d’État de l’Arizona. Et si les décideurs politiques interdisaient la recherche américaine aux Chinois, ils « se tireraient une balle dans le pied ».

Cet article a été publié dans le New York Times.

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