(Washington) Le département de la Justice et 16 procureurs d’État ont déposé jeudi une plainte antitrust contre Apple. Il s’agit d’un défi sans précédent à la puissance de l’entreprise à la pomme, qui a érigé un empire mondial en mettant des iPhone entre les mains de plus d’un milliard de personnes.

Le gouvernement allègue qu’Apple a violé les lois antitrust en empêchant d’autres entreprises de proposer des applications concurrençant les siennes – comme ses portefeuilles numériques – et qui pourraient diminuer la valeur de l’iPhone. Les politiques d’Apple nuisent aux consommateurs et aux petites entreprises qui concurrencent certains de ses services, plaide la poursuite déposée devant le tribunal fédéral du New Jersey.

« À chaque étape, la conduite d’Apple a permis d’ériger et de renforcer la muraille entourant son monopole », accuse le gouvernement.

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Le procureur général des États-Unis, Merrick Garland, jeudi à Washington

Cette poursuite résulte d’une enquête de longue haleine sur les populaires téléphones et services d’Apple, qui ont, au fil du temps, donné à cette société une capitalisation boursière de près de 2750 milliards de dollars. Elle vise directement l’iPhone, le produit phare d’Apple, et s’attaque à la manière dont l’entreprise a utilisé les milliards d’unités vendues depuis 2007 pour faire de cet appareil la pièce maîtresse de son empire.

Contrôle serré

En contrôlant de près l’expérience utilisateur sur ses iPhone et autres appareils, Apple s’est dotée d’un avantage indu, disent ses critiques, accordant à ses seuls produits l’accès à des fonctionnalités essentielles qu’elle refuse à ses rivaux. Au fil des ans, Apple a interdit la puce de paiement de l’iPhone aux sociétés financières et empêché les traqueurs Bluetooth d’accéder à sa fonction de localisation. De plus, il est plus facile de connecter à l’iPhone les produits Apple (montres intelligentes, ordinateurs portables, etc.) que ceux des concurrents.

Apple affirme que cela rend l’iPhone plus sûr que les autres téléphones intelligents. Mais les concepteurs d’applications et les fabricants d’appareils rivaux accusent Apple d’utilise son pouvoir pour écraser la concurrence.

« Cette poursuite menace notre identité et les principes qui distinguent les produits Apple sur des marchés hyperconcurrentiels », a réagi un porte-parole. « Si elle aboutissait, elle nuirait à notre capacité à créer le type de technologie que les gens attendent d’Apple, où matériel, logiciels et services s’entrecroisent. Elle créerait aussi un dangereux précédent, permettant au gouvernement de s’immiscer dans la conception de la technologie des gens. »

Apple a pu repousser d’autres attaques antitrust. Durant un procès intenté en 2020 par Epic Games, créateur de Fortnite, au sujet de ses politiques relatives à l’App Store, Apple a convaincu le juge que les clients pouvaient facilement passer du système d’exploitation de l’iPhone au système Android de Google. Elle a présenté des données montrant que la fidélité à l’iPhone explique pourquoi si peu de clients changent de marque de téléphone.

Elle a aussi défendu ses pratiques commerciales en affirmant que son approche a toujours été de faire croître tout le marché, donc de « créer davantage d’opportunités, non seulement pour [son] entreprise, mais aussi pour les artistes, les créateurs, les entrepreneurs et tous les “fous”qui ont une grande idée ».

D’autres plaintes antitrusts

Tous les géants de la techno sont désormais accusés au fédéral de pratiques anticoncurrentielles. Deux poursuites du ministère de la Justice visent Google (pour son moteur de recherche et son emprise sur la technologie publicitaire). La Federal Trade Commission accuse Meta, propriétaire de Facebook, d’avoir entravé la concurrence en achetant Instagram et WhatsApp. La FTC accuse aussi Amazon d’avoir abusé de son pouvoir sur le commerce de détail en ligne. La FTC a aussi tenté en vain d’empêcher Microsoft d’acquérir l’éditeur de jeux vidéo Activision Blizzard.

En Europe, les autorités réglementaires ont imposé une amende de 1,8 milliard d’euros à Apple pour avoir empêché les diffuseurs de musique en continu concurrents de communiquer aux utilisateurs leurs offres et des mises à niveau d’abonnements.

Les concepteurs d’applis ont aussi demandé à la Commission européenne d’enquêter sur les allégations selon lesquelles Apple violerait une nouvelle loi l’obligeant à ouvrir les iPhone aux applications tierces.

En Corée du Sud et aux Pays-Bas, Apple risque de se voir infliger des amendes pour les frais qu’elle impose aux développeurs d’applications afin qu’ils utilisent des processeurs de paiement alternatifs. D’autres pays, dont la Grande-Bretagne, l’Australie et le Japon, envisagent d’adopter des règles qui réduiraient la mainmise d’Apple sur le secteur des applications.

Le ministère américain de la Justice, qui a entamé son enquête sur Apple en 2019, a choisi de monter un dossier plus large et plus ambitieux que les poursuites antérieures intentées par d’autres organismes réglementaires. Plutôt que de viser seulement l’App Store, comme l’ont fait les Européens, il vise tout l’écosystème de produits et de services d’Apple.

Cet article a été publié à l’origine dans le New York Times.

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