La Commission européenne a annoncé lundi l’ouverture d’une enquête formelle contre X en relevant que l’entreprise américaine a potentiellement enfreint plusieurs dispositions d’une loi sur les services numériques conçue pour freiner la désinformation et la propagande haineuse en ligne.

La firme, qui multiplie les controverses depuis son acquisition par l’homme d’affaires Elon Musk en 2022, pourrait payer un lourd prix en cas de condamnation.

La loi, qui n’avait pas encore été utilisée contre un des géants de la Silicon Valley, prévoit une amende pouvant atteindre jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires annuel. Une expulsion du marché européen est aussi possible pour les infractions les plus graves.

Un porte-parole de la Commission européenne, Johannes Bahrke, a indiqué que les autorités entendaient maintenant se pencher sur les systèmes informatiques de X et ses politiques de gestion de l’information avant d’en arriver à une conclusion définitive.

M. Bahrke a précisé que l’initiative visait à déterminer notamment si X « a disséminé du contenu illégal dans le contexte des attaques terroristes du Hamas contre Israël » survenues le 7 octobre.

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Le siège social de X à San Francisco

Les autorités entendent aussi évaluer si les moyens utilisés pour contrer la désinformation, dont l’ajout de notes des utilisateurs sur les publications controversées, sont efficaces et ont un impact sur le discours civique et les processus électoraux.

L’effet potentiel trompeur de « crochets bleus », qui sont désormais attribués aux usagers en échange d’un paiement mensuel plutôt qu’à la suite d’une vérification de leur identité, sera aussi passé au crible.

L’entreprise a déclaré lundi qu’elle entendait collaborer à l’enquête et demeurait déterminée à « créer un environnement sécuritaire et inclusif pour tous [ses] utilisateurs tout en protégeant la liberté d’expression ».

« Un pas dans la bonne direction »

Le professeur Pierre Trudel, un spécialiste du droit du cyberespace rattaché à l’Université de Montréal, a salué lundi l’initiative de la Commission européenne « comme un pas dans la bonne direction » pour amener X et les autres réseaux sociaux d’envergure à mieux contrôler le contenu mis en ligne par leur entremise.

« Les compagnies du secteur sont généralement réticentes à faire de la modération de contenu parce que ça coûte cher et que c’est compliqué, mais l’Union européenne a un poids suffisamment significatif pour impressionner X », relève le chercheur, qui ne s’étonne pas de voir l’entreprise ciblée en premier.

Sous l’impulsion d’Elon Musk, plus de la moitié du personnel en poste au moment de l’acquisition de l’entreprise a été congédié, sabrant du même coup les équipes de modération de contenu.

Depuis ce temps, X est devenu une espèce de cloaque virtuel dans lequel il est difficile de trouver du contenu sérieux. Lorsqu’il y en a, il est rapidement bombardé par les trolls.

Le professeur Pierre Trudel, spécialiste du droit du cyberespace

La modération de contenu, dit-il, est un exercice délicat qui devient encore plus difficile lorsque des conflits armés comme celui opposant le Hamas à Israël prennent l’avant-plan.

« Ça demande plus que d’embaucher des gens à qui on demande de faire la différence entre le noir et le blanc », relève le professeur.

Elon Musk au cœur de polémiques

Elon Musk a suscité de nombreuses polémiques par ses propres interventions en ligne, qui reflètent une idéologie libertaire dans laquelle la liberté d’expression est défendue de manière « hystérique », juge M. Trudel.

L’homme d’affaires, disant vouloir se conformer à la « volonté du peuple » après un rapide sondage en ligne, a notamment permis le retour en ligne de conspirateurs connus comme Alex Jones. Le controversé tribun a été condamné plus tôt cette année à verser près de 1 milliard de dollars américains en guise d’indemnisation aux parents d’enfants tués lors de la fusillade de Sandy Hook qu’il dépeignait comme des « acteurs » payés pour miner le droit au port d’arme aux États-Unis.

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Alex Jones en septembre 2022

« Il a été condamné par un tribunal qui a passé en revue les faits. Malgré tout, il y a encore des gens puissants comme Elon Musk qui sont prêts à en faire fi », souligne M. Trudel.

Les autorités européennes pourraient être confrontées à d’importantes pressions du gouvernement américain, qui tend à préconiser une approche plus permissive en matière de liberté d’expression, mais aussi de citoyens criant à la censure, ajoute le professeur.

Nombre d’utilisateurs de X ont multiplié lundi les interventions en ligne pour appuyer Elon Musk face aux tentatives supposées de « prise de contrôle » des autorités européennes.

Bon nombre d’entreprises ont annoncé dans les derniers mois leur volonté de ne plus annoncer sur le site de l’entreprise en relevant la multiplication de messages haineux. Elon Musk a indiqué fin novembre que les firmes cherchant « à le faire chanter » en retirant leur argent pouvaient « aller se faire foutre », tout en prévenant que la chute des rentrées publicitaires de X pourrait mener à terme à sa faillite.