(San Francisco) WeWork a levé plus de 11 milliards en tant que société privée. Olive AI, une entreprise en soins de santé, 852 millions. Convoy, qui voulait réinventer le camionnage, 900 millions. Veev, une jeune pousse en préfabrication domiciliaire, 647 millions.

Depuis la mi-octobre, elles ont toutes déclaré faillite ou fermé : quatre échecs qui augurent le dégonflement d’une bulle techno, disent des investisseurs.

Après avoir surnagé en sabrant leurs coûts depuis deux ans, de nombreuses « licornes » – firmes technos prometteuses – vont d’ici peu manquer d’argent et de temps. La dure réalité, c’est que les investisseurs ne s’intéressent plus aux promesses. Ce sont eux qui décident quelles jeunes entreprises méritent d’être sauvées et quelles autres seront fermées ou vendues.

Des milliards s’envolent en fumée. En août, Hopin, une start-up qui a levé plus de 1,6 milliard de dollars et qui a déjà été évaluée à 7,6 milliards, a été bradée 15 millions. Le mois dernier, Zeus Living, l’Airbnb de la location mensuelle, qui avait levé 150 millions, a mis la clé sous la porte. Plastiq, une fintech qui avait levé 226 millions, a fait faillite en mai.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Une électrottinette en libre-service Bird. L’action de Bird a chuté, et l’entreprise a été décotée par la Bourse de New York.

En septembre, Bird, un fournisseur d’électrottinettes qui a levé 776 millions, a été radié de la Bourse de New York en raison de la faiblesse de son cours. Sa capitalisation boursière est de 7 millions ; Bird vaut moins que le manoir à 22 millions que son fondateur, Travis VanderZanden, a acheté à Miami en 2021.

Tout le secteur devrait attacher sa tuque : on va entendre souvent le mot “faillite”.

Jenny Lefcourt, associée chez Freestyle Capital

Les investisseurs sont échaudés, et les fondateurs de jeunes pousses devront se lever de bonne heure pour financer leurs prochains projets : « Plus les gens ont eu d’argent avant la fin du party, plus la gueule de bois sera longue. »

Il est difficile d’évaluer précisément les pertes : les chiffres des entreprises privées ne sont pas publiés si elles ferment ou se vendent.

La morosité du secteur a été masquée par le boom de l’intelligence artificielle, qui attire l’attention et le financement depuis un an. Mais environ 3200 jeunes entreprises ayant levé 27,2 milliards en capital-risque ont fermé en 2023, selon les données fournies au New York Times par PitchBook, qui suit les jeunes sociétés. Ces deux chiffres sont sans doute en deçà de la réalité, car de nombreuses fermetures se font sans bruit, note PitchBook, qui ajoute ne pas avoir tenu compte de grosses faillites de sociétés cotées en Bourse, comme WeWork, ou qui ont trouvé un repreneur, comme Hopin.

Deux fois plus de technos qui ferment

Carta fournit des services financiers aux jeunes pousses de la Silicon Valley. Parmi ses clients qui avaient levé au moins 10 millions de dollars, 87 ont fermé entre janvier et octobre 2023 (presque le double de toute l’année 2022).

« C’est l’année la plus dure pour les jeunes pousses depuis au moins 10 ans », a écrit sur LinkedIn Peter Walker, responsable des études de Carta.

Les capital-risqueurs affirment que l’échec est normal et que pour chaque fermeture, il y a une réussite exceptionnelle comme Facebook ou Google. Mais de nombreuses sociétés ne vont nulle part depuis des années et semblent près de s’écrouler : les investisseurs craignent une saignée à la mesure des énormes liquidités investies depuis 10 ans.

De 2012 à 2022, le capital risqué dans de jeunes pousses américaines a été multiplié par huit pour atteindre 344 milliards. Cette manne s’explique par les taux d’intérêt bas et le succès des médias sociaux et des applications mobiles, qui ont métamorphosé le capital-risque techno. Jadis, on pouvait trouver presque tous les grands acteurs de ce secteur dans la même rue, Sand Hill Road, dans la Silicon Valley. Or, ce secteur est devenu énorme, comparable aux fonds spéculatifs ou à des fonds d’actions de sociétés à capital fermé.

Le capital-risque est devenu à la mode – même 7-Eleven et Sesame Street ont lancé des fonds de capital-risque –, et le nombre de « licornes » évaluées à 1 milliard de dollars ou plus a explosé, passant de quelques douzaines à plus de 1000.

Or, tout le monde n’est pas Facebook et Google – avec leurs revenus publicitaires vertigineux –, surtout pas la nouvelle vague de jeunes pousses et leurs modèles d’affaires basés sur la pige, le métavers, la micromobilité et les cryptomonnaies.

De licornes à zombies

Aujourd’hui, certaines entreprises décident de fermer avant de manquer d’argent et rendent ce qui reste dans la caisse aux investisseurs. D’autres sont en mode « zombie » ; elles vivotent, sans parvenir à se développer.

Convoy, le « Uber du camionnage », qui a déjà été évalué à 3,8 milliards, a passé les 18 derniers mois à réduire ses coûts et son personnel. Cela n’a pas suffi.

Cette année, alors que l’argent commençait à manquer, l’entreprise a essayé de se vendre à trois investisseurs : tous ont dit non merci. Selon le cofondateur et PDG Dan Lewis, cet échec « a été l’un des moments les plus difficiles ». Convoy a fermé en octobre, victime d’une « tempête parfaite », a écrit M. Lewis dans un courriel aux employés.

Certains capital-risqueurs en viennent à dire à certains fondateurs qu’« il vaut peut-être mieux accepter la réalité et jeter l’éponge » que de souffrir pour rien durant des années, comme l’a écrit dans un blogue Elad Gil.

Selon Mme Lefcourt, de Freestyle Ventures, deux de ses jeunes pousses viennent de le faire, remboursant la moitié du montant investi. « On essaie de dire aux fondateurs : “Hé, ça ne sert à rien de t’enfoncer au fond du cul-de-sac”. »

SimpleClosure a le vent dans les voiles

Mais il y a un domaine techno qui prospère : la fermeture.

SimpleClosure, une jeune pousse qui aide les entreprises à fermer, ne suffit pas à la demande depuis son lancement en septembre, dit Dori Yona, le fondateur. SimpleClosure aide à préparer les documents juridiques et à gérer les obligations envers investisseurs, vendeurs, clients et employés.

C’est triste de voir autant de jeunes entreprises fermer, dit M. Yona, mais il trouve « spécial » d’aider les fondateurs à tourner la page au terme d’une période difficile. En outre, ça fait partie du cercle de vie de la Silicon Valley, dit-il.

« Beaucoup parmi eux travaillent déjà sur leur prochaine entreprise. »

Cet article a d’abord été publié dans le New York Times.

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