Le jour même où la lanceuse d’alerte Frances Haugen témoignait devant le Congrès des méfaits de Facebook et d’Instagram sur les enfants à l’automne 2021, un consultant de renom envoyait un courriel alarmant au PDG de Meta, Mark Zuckerberg, sur le même sujet.

Arturo Béjar, ex-directeur de l’ingénierie chez Meta et expert en lutte contre le harcèlement en ligne, a alors raconté à Mark Zuckerberg ce qu’avait vécu sa propre fille sur Instagram. Ses inquiétudes et son avertissement sont restés lettre morte, a-t-il dit mardi lors de son témoignage devant le Congrès.

« Je me présente aujourd’hui en tant que père dont l’enfant a reçu des avances sexuelles importunes sur Instagram », a-t-il dit aux sénateurs américains.

Alors qu’il dirigeait l’ingénierie chez Facebook, de 2009 à 2015, M. Béjar s’était fait connaître pour son travail de lutte contre la cyberintimidation. Il pensait que les choses s’amélioraient. Mais entre son départ de l’entreprise et son retour en 2019 comme consultant, sa fille s’est inscrite sur Instagram.

Ses amies et elles ont eu des expériences horribles, des avances sexuelles importunes et du harcèlement, de façon répétée. Elle a signalé ces incidents à l’entreprise, qui n’a rien fait.

Arturo Béjar, ex-directeur de l’ingénierie chez Meta, lors de son témoignage mardi

Dans son courriel de 2021, rapporté par le Wall Street Journal, M. Béjar a souligné le fossé entre la façon dont l’entreprise aborde les préjudices et la façon dont les utilisateurs – en particulier les jeunes – les vivent.

« Il y a deux semaines, ma fille de 16 ans a publié sur Instagram une story sur les voitures. Quelqu’un a écrit “Retourne à la cuisine”. Cela l’a profondément blessée », a-t-il écrit à M. Zuckerberg. « Cela étant, ce commentaire est loin de contrevenir aux normes, et nos outils de blocage ou de suppression laisseront cet utilisateur aller sur d’autres profils, où il continuera de répandre sa misogynie », écrivait M. Béjar, ajoutant qu’il doutait que le resserrement des normes de signalement ou l’examen plus approfondi du contenu règlent le problème.

M. Béjar a témoigné mardi devant un sous-comité du Sénat sur l’impact des médias sociaux sur la santé mentale des adolescents. Cette instance cherche à établir si les dirigeants de Meta, dont M. Zuckerberg, avaient connaissance du tort causé par Instagram et s’ils ont choisi de ne pas apporter les correctifs nécessaires.

Cibler le harcèlement

Selon M. Béjar, Meta doit modifier la supervision de ses plateformes et cibler le harcèlement, les avances sexuelles importunes et autres mauvaises expériences, même si ces problèmes ne contreviennent pas clairement aux politiques en vigueur. Ainsi, l’envoi de messages sexuels vulgaires à des enfants n’enfreint pas nécessairement les règles d’Instagram, mais M. Béjar estime que les adolescents devraient pouvoir signifier qu’ils n’en veulent pas.

« Je peux affirmer avec certitude que les dirigeants de Meta étaient conscients du tort fait aux adolescents, qu’ils pouvaient agir et qu’ils ont choisi de ne pas le faire », a déclaré M. Béjar à l’Associated Press. Cela montre bien qu’« on ne peut pas leur confier nos enfants », dit-il.

Mardi, le sénateur Richard Blumenthal, un démocrate du Connecticut qui préside la sous-commission sur la vie privée et la technologie, a ouvert la séance en présentant M. Béjar comme un ingénieur « très respecté et admiré dans l’industrie » qui a été engagé spécifiquement pour protéger les enfants, mais dont les recommandations ont été ignorées.

« Ce que vous avez présenté à cette commission aujourd’hui doit être entendu par tous les parents », a ajouté Josh Hawley, sénateur républicain du Missouri.

M. Béjar a cité des analyses soigneusement élaborées par Meta qui montrent, par exemple, que 13 % des utilisateurs de 13 à 15 ans rapportaient avoir reçu des avances sexuelles importunes sur Instagram durant les sept derniers jours.

Selon M. Béjar, les réformes qu’il proposait n’auraient pas eu d’impact majeur sur les revenus et profits de Meta et des autres plateformes. Elles ne visent pas à punir les entreprises, mais à aider les adolescents.

« Vous avez entendu l’entreprise dire “oh, c’est vraiment compliqué”, a déclaré M. Béjar à l’AP. Non, ce n’est pas le cas. Il suffit de donner à l’adolescent la possibilité de dire “ce contenu ne me convient pas”, puis d’utiliser cette information pour former tous les autres systèmes » et les améliorer.

Ce témoignage survient dans le contexte d’un effort bipartisan au Congrès en vue de légiférer pour protéger les enfants en ligne.

« Chaque jour, d’innombrables personnes chez Meta et ailleurs œuvrent pour assurer la sécurité des jeunes en ligne, a déclaré Meta. Les questions soulevées par ces analyses sur la perception des utilisateurs illustrent une partie de cet effort, et des enquêtes de ce type nous ont amenés à créer des fonctionnalités telles que les notifications anonymes de contenu potentiellement blessant et les avertissements de commentaires. De concert avec des parents et des experts, nous avons aussi mis en place plus de 30 outils pour aider les adolescents et leurs familles à vivre des expériences en ligne sûres et positives. Tout ce travail se poursuit. »

Il y a deux semaines, de nombreux États américains ont intenté des poursuites contre Meta pour avoir porté préjudice à des jeunes et contribué à la crise de la santé mentale chez les jeunes. On reproche à Meta de concevoir sciemment et délibérément des fonctionnalités qui rendent les enfants accros à Instagram et à Facebook.

Selon M. Béjar, une loi fédérale est « absolument essentielle » afin de rendre ces dommages « transparents » et de fournir aux adolescents de l’aide et le soutien d’experts compétents.