(Washington) Une « grande bataille » entre le Canada et les États-Unis pourrait se profiler à propos du projet du gouvernement de Justin Trudeau d’imposer une taxe sur les services numériques.

L’ambassadeur des États-Unis David Cohen, qui est l’envoyé de Washington à Ottawa, a qualifié de « discriminatoire » la taxe qui s’appliquerait aux grandes entreprises de services numériques.

M. Cohen, dont les presque deux années en tant qu’ambassadeur des États-Unis ont été marquées par des discours amicaux, mais francs et parfois directs sur les préoccupations transfrontalières, a lancé cet avertissement après un dîner-conférence organisé par le Cercle canadien d’Ottawa, mardi.

« Ce sera un sujet de discorde, à moins qu’il ne soit résolu », a évoqué M. Cohen lorsque le sujet de la taxe canadienne sur les services numériques a été abordé lors de la période de questions.

« Il y a un moment où soit nous allons devoir parvenir à un accord, soit nous allons avoir une grande bataille. »

La Taxe sur les services numériques (TSN) de 3 % cible les entreprises étrangères, dont beaucoup sont basées aux États-Unis, qui tirent des revenus grâce à des abonnements ou à d’autres services au Canada. Elle devrait entrer en vigueur en janvier, avec un effet rétroactif jusqu’en 2022.

Cette mesure a été présentée comme une étape visant à soutenir l’effort collectif des pays du G20 et de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en vue d’élaborer un cadre mondial de taxation du numérique.

Cela ne s’est toutefois pas produit jusqu’à présent. Cependant, la ministre des Finances, Chrystia Freeland, qui était à Washington pour des réunions au début du mois pour discuter des minéraux essentiels avec ses homologues américains, a fait allusion à des progrès, mardi.

« Nous avons eu de bonnes conversations sur la TSN, a soutenu Mme Freeland. Je reste prudemment optimiste quant à notre capacité à parvenir à un accord avec nos partenaires américains. »

M. Cohen a souligné que les États-Unis comprennent la position du Canada, mais que le pays demande simplement au gouvernement canadien de laisser plus de temps pour que le cadre de l’OCDE se mette en place.

« Les États-Unis pensent que les taxes sur les services numériques sont discriminatoires à l’égard des entreprises américaines, a soutenu M. Cohen. Ce que les États-Unis ont demandé […], c’est un an ou deux supplémentaires pour essayer de mettre en place le cadre de l’OCDE. »

Source de désaccord

La perspective qu’Ottawa impose une taxe numérique à une industrie fortement concentrée au sud de la frontière n’a cessé de gagner du terrain à Washington en tant qu’irritant important dans les relations entre le Canada et les États-Unis.

Le mois dernier, des membres du Comité des voies et moyens de la Chambre des représentants américaine, qui supervise les questions de commerce international, ont écrit pour mettre en garde contre des « conséquences importantes », dans le cas où le Canada allait de l’avant avec la taxe.

« L’approche inhabituellement agressive et discriminatoire du Canada ciblerait les entreprises et les travailleurs américains qui supporteraient de manière disproportionnée le fardeau de cette nouvelle taxe », ont-ils écrit.

La lettre, adressée à la secrétaire américaine du Trésor, Janet Yellen, et à la représentante américaine au Commerce, Katherine Tai, a été cosignée par 41 membres du comité, démocrates et républicains.

Le document a également mis en doute le fait que cette mesure puisse constituer une violation des obligations du Canada en vertu de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique ou de ses engagements dans le cadre des traités de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

La lettre indique que la grande majorité des pays de l’OCDE travaillant sur la question ont accepté de repousser leur propre échéancier jusqu’à la fin de 2024.

Avant une réunion bilatérale entre le premier ministre Justin Trudeau et le président Joe Biden à Ottawa, plus tôt cette année, les lobbyistes de l’industrie ont exhorté le président américain à adopter une ligne dure sur cette question avec son vis-à-vis canadien.

La position du Canada, ont-ils prévenu, créerait un « précédent néfaste » pour d’autres pays qui participent aux efforts de l’OCDE, qui pourraient être enclins à suivre l’exemple canadien et à imposer des taxes sur les services numériques américains.

Les deux dirigeants auront l’occasion de discuter de la question en personne vendredi, lorsque M. Trudeau sera dans la capitale américaine pour participer à un mini-sommet sur le commerce et l’immigration irrégulière organisé par la Maison-Blanche, a indiqué M. Cohen.