(San Francisco) Campbell Brown, cheffe de l’information chez Facebook, a annoncé sa démission le 3 octobre. Le lendemain, X a commencé à supprimer les titres d’articles relayés sur sa plateforme. Le 11 octobre, le responsable de l’application Threads d’Instagram, un concurrent de X, a indiqué que son réseau social n’allait pas « amplifier » l’information des médias traditionnels.

Même Google – le plus solide partenaire des médias depuis une décennie – est devenu moins fiable, préoccupant les médias face à leur dépendance envers le géant du web. Google a licencié des employés du secteur des actualités lors de ses deux récentes restructurations et certains médias observent une baisse du trafic en provenance de Google.

Si ce n’était pas clair avant, ce l’est maintenant : les grandes plateformes en ligne sont en train de larguer l’information.

Certains patrons du secteur techno, comme Adam Mosseri d’Instagram, disent carrément qu’il ne vaut pas la peine d’héberger les actualités en raison des débats clivés que cela provoque. Elon Musk, propriétaire de X, ne cache pas son dédain pour la presse traditionnelle. Les médias semblent se résigner à ce que le trafic en provenance des plateformes en ligne se tarisse pour de bon.

PHOTOS ALAIN JOCARD, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Depuis qu’Elon Musk a acheté Twitter il y a un an, la plateforme renommée X a défavorisé les médias traditionnels, notamment en n’affichant plus les manchettes.

Les relations entre les médias et ces plateformes ont toujours été mauvaises, mais le dernier conflit est frappant et les conséquences pour le secteur de l’information sont graves.

De nombreuses entreprises de presse ont failli y passer quand l’internet a mis leur modèle d’affaires sens dessus dessous il y a plus d’une décennie. La survie en ligne passait par les clics des lecteurs – et, par extension, la publicité – amenés sur leurs sites par les moteurs de recherche, Facebook et Twitter.

Aujourd’hui, cette source se tarit. En septembre 2020, les grands sites d’information américains tiraient 11,5 % de leur trafic des réseaux sociaux. En septembre dernier, ce chiffre était tombé à 6,5 %, rapporte Similarweb, une société d’analyse.

« Ce modèle d’affaires déjà à la peine en est vraiment perturbé », affirme Adrienne LaFrance, rédactrice en chef du magazine The Atlantic. Le trafic venu des médias sociaux a toujours eu des hauts et des bas, mais la chute de 2022-2023 est pire que ne l’avaient prévu la plupart des médias, dit-elle.

Nous sommes dans un web post-social.

Adrienne LaFrance, rédactrice en chef du magazine The Atlantic

Un porte-parole de Meta, société mère de Facebook, Instagram et Threads, s’est refusé à tout commentaire. Ni Elon Musk ni Linda Yaccarino, la PDG de X, n’ont répondu aux sollicitations du New York Times.

Jaffer Zaidi, vice-président de Google chargé des partenariats avec les médias, a indiqué par communiqué que l’entreprise continuait à « diriger un trafic de haute valeur vers les médias et à soutenir un web sain et ouvert ».

Époque révolue

Les temps ont bien changé. Durant l’essor de l’internet grand public, il y a une vingtaine d’années, les Google, Facebook et autres Twitter ont misé gros sur le journalisme et ont diffusé des articles des médias traditionnels.

« Chaque plateforme internet a la responsabilité d’essayer d’aider à financer […] l’information » et de nouer des partenariats, disait Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook, il y a plusieurs années, alors qu’il courtisait encore les médias.

PHOTO LOREN ELLIOTT, THE NEW YORK TIMES

Mark Zuckerberg, PDG de Meta, lors d’une conférence au siège social de l’entreprise à Menlo Park, le mois dernier

Facebook et Twitter ont tous deux lancé quelques initiatives censées promouvoir les actualités. Ainsi, en 2019, Facebook a créé Facebook News, un onglet guidant les lecteurs vers des articles provenant de médias partenaires rémunérés. Twitter a aussi essayé des partenariats avec les agences Associated Press et Reuters en 2021 pour combattre la désinformation.

Forte baisse des clics

Cela n’a pas duré. Facebook News n’existe plus et Mme Brown, qui en était responsable, a annoncé son départ. Depuis qu’Elon Musk a acheté Twitter il y a un an, la plateforme a défavorisé les médias traditionnels, notamment en n’affichant plus les manchettes dans les messages et en supprimant la coche bleue « vérifié » pour les journalistes et personnalités publiques qui n’ont pas payé pour l’obtenir. TikTok, Snapchat et Instagram apportent un trafic négligeable aux médias.

La forte baisse du trafic amené par les médias sociaux depuis deux ans touche tous les médias, y compris le New York Times.

Le Wall Street Journal a constaté une baisse il y a environ 18 mois, selon l’enregistrement d’une réunion du personnel en septembre obtenu par le New York Times.

« Nous sommes à la merci des algorithmes sociaux et des géants de la techno pour une grande partie de notre diffusion », a dit la rédactrice en chef Emma Tucker aux journalistes durant la réunion.

Ne pouvant plus compter sur Meta et X, les médias se sont rabattus sur Google. Depuis plus de 20 ans, les médias, petits et grands, présentent leur contenu pour qu’il se démarque dans les résultats de recherche de Google, une pratique appelée « optimisation pour les moteurs de recherche ». Ce traitement comprend des surtitres et sous-titres anticipant les recherches des utilisateurs de Google, l’ajout dans les articles de liens vers d’autres sites et le maintien d’équipes chargées de générer du trafic et d’être à l’affût de l’évolution des moteurs de recherche.

Google affirme diriger 24 milliards de clics par mois – 9000 par seconde – vers les sites web des médias par son moteur de recherche et sa page Google News.

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

Certains médias constatent depuis quelques semaines une baisse du trafic référencé par Google, disent deux cadres de deux grands sites médiatiques différents.

Au Los Angeles Times, la proportion des clics provenant des recherches en ligne a augmenté (entre 50 et 60 %, précédemment entre 30 % et 40 %), mais ne compense pas les pertes dues aux médias sociaux, selon la rédactrice en chef adjointe chargée du lectorat, Samantha Melbourneweaver.

Mais même Google suscite l’inquiétude. Certains médias constatent depuis quelques semaines une baisse du trafic référencé par Google, disent deux cadres de deux grands sites médiatiques différents. Google reste de loin la principale source de trafic, disent-ils, mais la baisse observée n’annonce rien de bon.

« C’est volatil, a déclaré Mme Melbourneweaver. Google existe pour satisfaire les besoins de Google, pas les nôtres. »

Google a licencié la semaine dernière jusqu’à 45 personnes affectées à Google News, selon le syndicat des travailleurs d’Alphabet. Des coupes ont aussi eu lieu en septembre dans l’équipe de partenariat avec les médias.

En privé, des médias essaient de planifier l’avenir post-Google et d’anticiper ce qu’il faudra faire si les produits d’intelligence artificielle de Google gagnent en popularité et enfouissent encore plus les liens vers les articles des médias.

Mme LaFrance affirme que The Atlantic promeut ses propres infolettres, sa page d’accueil et son magazine papier. Fin juin, le magazine d’information revendiquait plus de 925 000 abonnés payants pour ses produits imprimés et numériques, en hausse de 10 % sur un an.

« Les liens directs avec le lectorat sont importants, évidemment, dit Mme LaFrance. En tant qu’êtres humains et lecteurs, nous ne devrions pas nous contenter de trois mégaplateformes toutes-puissantes et consommatrices d’attention pour susciter notre curiosité et nous informer. »

« D’une certaine manière, ce déclin du web social est extraordinairement libérateur », ajoute-t-elle.

Cet article a été publié dans le New York Times.

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