Revenus qui explosent, nombre d’utilisateurs approchant du milliard, influenceurs bien établis, contenus populaires : qui aurait cru que LinkedIn, ce réseau social professionnel mal-aimé, deviendrait « cool » ? C’est pourtant l’étiquette que lui accolent de plus en plus d’observateurs dans la foulée de la tourmente de Twitter – devenu X.

« Je crois que LinkedIn a toujours été cool, mais les gens commencent à voir à quel point nous sommes réellement cool. » Ce petit message de Tomer Cohen, directeur de produit chez LinkedIn, a été publié le 23 août dernier, au lendemain de la parution d’un article de Bloomberg Businessweek intitulé « Désolé, mais LinkedIn est maintenant cool ».

Et le média new-yorkais est loin d’être le seul à dresser ce constat. Sans tambour ni trompette, alors que des concurrents comme Twitter et Facebook sont en crise, LinkedIn s’est imposé. Étonnant revirement de situation pour ce réseau lancé en 2003 et acquis par Microsoft en 2016. Il a longtemps surtout été utilisé pour la recherche d’emploi et prêtait le flanc à la moquerie, avec ses « anniversaires professionnels » et ses incessantes invitations envoyées par de purs inconnus.

Actifs et nombreux

Ce qui n’a pas empêché le réseau social d’engranger utilisateurs et revenus, une tendance qui s’est accélérée avec la pandémie.

Et ces abonnés ne sont pas inactifs, comme le sont devenus la moitié de ceux de Threads en juillet dernier. Au printemps dernier, LinkedIn a annoncé que ses abonnés avaient partagé 41 % plus de contenu qu’à pareille date en 2021.

Louis-François Bouchard, étudiant au doctorat à Polytechnique Montréal et vulgarisateur scientifique en intelligence artificielle (IA), est un de ceux qui ont appris à utiliser assidûment LinkedIn. « J’ai commencé ma maîtrise en IA en 2020 et j’ai constaté que la meilleure façon d’apprendre, c’était de partager mes découvertes. Et LinkedIn offre un engagement plus fort, plus pertinent que Twitter ou Instagram. Les gens sont dans un état d’esprit où ils sont prêts à apprendre quelque chose d’intéressant. »

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Louis-François Bouchard, étudiant au doctorat à Polytechnique Montréal et vulgarisateur scientifique en intelligence artificielle

Il note que beaucoup d’utilisateurs de Twitter ou de Reddit trouvent LinkedIn « téteux », mais persiste et signe : « C’est plus axé sur l’entraide, on y trouve des fondateurs de start-up, des gens qui partagent ce qu’ils font. Je n’ai jamais eu de spam ou quoi que ce soit de négatif, il n’y a pas de bots dont on n’arrive pas à se débarrasser. »

Vendre subtilement

Figure bien connue de l’écosystème d’innovation montréalais, Alexandre Teodoresco se décrit d’emblée comme « un fan de LinkedIn ». Le vice-président au développement stratégique et à l’innovation des 7 Doigts y publie régulièrement des nouvelles de son entreprise, tentant d’équilibrer contenu ludique et analyses en profondeur.

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Alexandre Teodoresco, vice-président au développement stratégique et à l’innovation des 7 Doigts, lors d’un débat sur le métavers à C2 Montréal en septembre 2022

« J’y vais plusieurs fois par jour. Je ne suis pas sur Twitter ; Facebook, ça fait des années que je n’y vais plus. »

Sa présence sur LinkedIn lui permet de « réseauter », de vendre les 7 Doigts, « mais de façon indirecte ». Vidéos montrant les œuvres de l’IA générative, renaissance du neuvième étage du Centre Eaton, billets sur le métavers sont quelques-uns des éléments qu’il a offerts récemment à ses 9805 abonnés.

« Ce n’est pas une approche “vendeur de chars usagés”, mais il s’agit de se positionner. On doit le faire de manière authentique. Quand tu définis bien ta voix, tu as trouvé ta voie. »

Lui non plus n’a jamais eu affaire à des « trolls », même si les débats plus corsés s’invitent parfois sur son fil. « Mais même les gens qui ne sont pas d’accord avec moi ne trollent pas. Disons qu’il y a une “brigade de la vérité”, des gens qui vont rapidement te signaler une inexactitude, parfois avec des détails qui ne sont pas nécessaires. Mais c’est dans une bonne ambiance. »

Recueillir les orphelins

Une des raisons de ce comportement civique tient bien sûr à la nature même de LinkedIn, qui empêche théoriquement l’anonymat et où chacun présente sa formation et ses emplois précédents. Cela dit, le réseau acquis par Microsoft n’est pas près de déloger TikTok ou Instagram auprès des jeunes, estime Patrick White, professeur de journalisme à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal.

« C’est bon d’avoir un cocktail de réseaux sociaux, et LinkedIn en fait partie. Il est en croissance, c’est ce que je constate autour de moi. L’algorithme a changé, c’est beaucoup moins drabe. Et on voit que les gens sont passés par-dessus des trucs plus désagréables comme les rappels d’anniversaires professionnels… »

LinkedIn profite peut-être de façon marginale de la disparition des nouvelles sur Facebook, analyse M. White. « Ce n’est pas une grosse source de trafic pour les éditeurs d’informations, mais si on va chercher 2, 3 ou 4 % d’utilisateurs qui étaient sur Facebook, peut-être que ça va stabiliser le trafic des médias. »

LinkedIn en bref

  • Fondé en 2002 et lancé en mai 2003 par Reid Hoffman et Allen Blue, deux anciens cadres de PayPal
  • Entrée en Bourse en 2011. La valorisation boursière du réseau est alors estimée à 7,8 milliards US.
  • Acquisition par Microsoft en 2016 au coût de 26,2 milliards US.
  • En 2022, LinkedIn comptait 21 000 employés répartis dans 36 bureaux à travers le monde.
  • Sur les 950 millions d’utilisateurs, 49,16 millions étaient abonnés en 2021 à la formule Premium, dont le prix varie de 39,99 $ à 149,99 $ par mois.