Avec des dizaines de millions d’abonnés et des fils d’actualité déjà bien fréquentés, il a suffi de quelques heures pour que Meta semble réussir jeudi avec Threads ce qu’aucun autre rival n’a pu faire : s’imposer comme une solution de rechange crédible à Twitter.

« C’est super bien parti. Si Twitter n’était pas trop inquiet, aujourd’hui n’est pas une bonne journée pour Elon Musk et ses équipes », résume Laurence Grondin-Robillard, doctorante en communication à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et chargée de cours à l’École des médias.

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À 11 h jeudi, dernier bilan au moment où ces lignes étaient écrites, le PDG de Meta, Mark Zuckerberg, se félicitait que Threads compte déjà 30 millions d’abonnés. Il reconnaissait toutefois, comme nombre d’utilisateurs, que ce nouveau réseau social était loin d’être au point. « Nous avons beaucoup de travail devant nous pour construire l’application », a-t-il expliqué sur son compte Threads, à partir duquel il a diffusé des dizaines d’interventions toute la journée.

« Une app Instagram »

Meta préparait depuis plusieurs mois une application basée sur le modèle de Twitter, dans la tourmente depuis son achat par Elon Musk en octobre 2022. Threads (« Fils » en français, comme dans l’expression « Fils de presse ») a finalement été rendu disponible au téléchargement, pour iOS et Android, en fin de journée mercredi. Threads est présenté au téléchargement comme « une app Instagram » et, de fait, la nouvelle application est étroitement associée à Instagram, qui compte 1,6 milliard d’utilisateurs mensuels à travers le monde. En comparaison, Twitter en compte 400 millions.

« Pour Meta, il suffit qu’un utilisateur d’Instagram sur quatre passe à Threads pour que ce dernier soit aussi gros que Twitter, note dans un rapport Jasmine Enberg, analyste principale chez Insider Intelligence. Et Meta a la taille, les ressources et la stratégie d’exécution pour que cela se produise. »

La réaction de Twitter ne s’est pas fait attendre. En milieu de journée, le média américain Semafor a publié une lettre des avocats de Twitter menaçant Meta de poursuites pour avoir procédé de façon « systématique, voulue et illégale à une appropriation de secrets commerciaux ».

Elon Musk avait publié sur Twitter plus tôt dans la journée un tweet sarcastique : « Il est infiniment préférable d’être attaqué sur Twitter par des étrangers, que se livrer au faux bonheur de “je cache-ma-peine” sur Instagram. »

Pas encore de pub

On ne peut s’inscrire dans Threads qu’avec son compte Instagram, et on peut très facilement faire suivre ses abonnés d’un compte à l’autre. Luke Lintz, par exemple, PDG de l’agence de marketing HighKey, comptait déjà 7600 abonnés sur son compte Threads en milieu de journée jeudi, la plupart hérités de son million d’abonnés sur Instagram. « En six ans sur Twitter, j’en ai environ 10 000 », précise-t-il en entrevue.

Les habitués de Twitter ne sont pas tellement dépaysés sur Threads, où on retrouve essentiellement la même mécanique où tout commence par une publication textuelle, avec ou sans photo, avec une limite de 500 caractères. On peut également y publier une vidéo d’une durée maximale de 5 minutes.

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Ces publications (qui n’ont pas encore de nom, certains proposant tout simplement « threads ») sont affichées à ses propres abonnés et, selon l’algorithme de la plateforme, à d’autres utilisateurs.

Ceux-ci peuvent les transférer, réagir, ou simplement aimer. Aucune publicité n’y est encore affichée, Zuckerberg expliquant en ligne qu’on veut d’abord « franchir le milliard d’utilisateurs » avant de penser à la monétisation.

La première réussite de Threads, c’est que Meta a attiré dès le premier jour nombre d’utilisateurs influents d’Instagram, y compris au Québec, auxquels s’ajoutent les abonnés de chaque nouvel utilisateur. L’autre trouvaille, qui peut paraître irritante au premier abord, c’est qu’il est impossible de ne lire que les publications auxquelles on est abonné. Le fil d’actualité principal comprend aussi bien des utilisateurs qu’on suit, que d’autres affichés de force par Threads selon leur popularité ou leur pertinence.

Boulimique de données

Résultat : Threads donne déjà une impression de dynamisme et d’interaction supérieure à Mastodon ou Bluesky, deux autres concurrents à Twitter.

« C’est mieux parti que les alternatives qu’on avait regardées ; j’aimais bien Mastodon, mais c’était trop complexe, dit Mme Grondin-Robillard. Threads est intuitif, c’est un mélange entre Twitter et le design d’Instagram. La plupart des gens qui y allaient pour la première fois semblent très excités. »

Pour Luke Lintz, Threads « va lentement tuer Twitter… à moins que Twitter ne fasse des changements radicaux ». Il croit que le réseau acheté par Elon Musk doit emprunter la voie de la décentralisation et de l’utilisation de la chaîne de blocs pour se démarquer.

Tout n’est pas rose, loin de là, sur ce nouveau réseau. D’abord, on est avisé dès le téléchargement que Threads, comme Facebook et Instagram, est très gourmande en données des utilisateurs. Historique de navigation, lieu, contacts, identifiants, informations financières, près de 14 catégories de données personnelles « peuvent être recueillies », nous prévient-on.

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Près de 14 catégories de données personnelles « peuvent être recueillies » par Threads, nous prévient-on dans l’App Store.

Laurence Grondin-Robillard a par ailleurs été une des premières à faire une découverte troublante : on ne peut effacer son compte Threads sans effacer du même coup son compte Instagram. Le fait que Threads annonce qu’elle recourra, comme Mastodon, à un protocole décentralisé appelé ActivityPub ne la rassure pas. « Les données ne vont pas nous appartenir. »

M. Lintz, lui, ne croit pas que Meta accepte de réellement décentraliser Threads. « C’est tellement connecté à Instagram, ils vont vouloir garder leurs données pour eux. »

Trois autres solutions de rechange à Twitter

Mastodon

Créé en 2016 par un développeur allemand qui craignait l’acquisition de Twitter par le controversé Peter Thiel, Mastodon a une interface semblable avec des « toots » (« pouets » en français) contenant de la vidéo, des images et pouvant atteindre 500 caractères. La grande différence, qui fait son attrait ou son désavantage dépendant des utilisateurs, c’est qu’il s’agit d’un réseau décentralisé entre 11 479 « instances », correspondant à des serveurs indépendants utilisés par quelque 7 millions d’utilisateurs. Les interactions entre « instances » sont complexes.

Bluesky

Bluesky a été conçu en 2019 sous l’égide du fondateur de Twitter, Jack Dorsey, avant de devenir une entité indépendante en février 2023. Le concept : un réseau social décentralisé entre plusieurs serveurs utilisant une plateforme semblable à Twitter, mais en code ouvert. Bluesky n’est accessible que sur invitation et ne compte pour l’instant que 180 000 utilisateurs actifs, avec une liste d’attente d’environ 1,9 million de personnes. « C’est Twitter, en vide », a résumé de façon laconique le média français Numerama.

Post.News

Né à peine deux semaines après l’acquisition de Twitter par Elon Musk, Post News (ou Post.News) utilise le même fil d’actualité où on peut publier ses messages, s’abonner à certains comptes et entamer des discussions. Le concept de base est de payer ceux dont on lit le contenu, en leur versant un « pourboire » avec des points correspondant à 1 cent US qui peuvent être encaissés auprès d’un intermédiaire, Stripe. On estime que Post.News, qui a lancé son application iOS à la mi-juin, attire 440 000 utilisateurs.