(Ottawa) « J’en ai assez » : acculée sur les réseaux sociaux, une journaliste a récemment lancé un cri d’alarme, épuisée par la montée de la haine et des menaces proférées contre elle et d’autres reporters.

Rachel Gilmore, journaliste à Global News, a ainsi appelé sur Twitter et TikTok la police et Ottawa à prendre au sérieux le harcèlement qui a atteint un pic au cours de l’année, estimant que l’un des piliers de la démocratie canadienne est en danger.

« La presse indépendante est menacée », avertit-elle. « Nous ne serons pas réduits au silence. Mais nous avons besoin que vous vous leviez pour nous. »

Plus tôt ce mois-ci, 52 journaux, radiodiffuseurs et médias canadiens ont exhorté dans une lettre ouverte les dirigeants politiques à agir, martelant que « la haine et les menaces qui frappent les journalistes ont un effet paralysant qui met à mal la démocratie » et dénoncé « toute tentative d’affaiblir » la presse.

Émissions en direct interrompues pour cause de huées, messages obscènes en ligne, menaces… des journalistes en parlent comme d’un véritable assaut, qui prend à la gorge la profession.

Certains disent être effrayés à l’idée de quitter leurs domiciles, d’autres relatent avoir été contraints de prendre des mesures extraordinaires de sécurité.

« C’est incessant », déplore Erica Ifill, chroniqueuse au journal The Hill Times à Ottawa. « Ça va des menaces de mort aux menaces de viol, en passant par des personnes qui nous font savoir qu’elles nous surveillent. »

« Je pense que je devrais peut-être quitter le journalisme », lâche-t-elle.  

L’Association canadienne des journalistes estime ainsi que les attaques « menacent non seulement la sécurité et le bien-être des journalistes, mais aussi le bon fonctionnement de la démocratie elle-même ».

« Le harcèlement en ligne est un fléau pour notre démocratie et il doit cesser », a dénoncé l’association, soulignant que ces « abus ignobles » sont le plus souvent dirigés contre les femmes, les personnes LGBTQ+ et les journalistes issus de l’immigration.  

Pour Saba Eitizaz duToronto Star, la situation s’est tellement aggravée — elle est citée dans des dizaines de messages haineux par jour — qu’elle a dû prendre un congé maladie.  

« C’est certainement bien pire et bien plus insidieux qu’une sorte de désenchantement général du public envers les médias », regrette-t-elle auprès de l’AFP.

« Effet paralysant »

Rachel Gilmore et bien d’autres ont été insultés sur les réseaux sociaux. « Je vais te tuer salope, tu ferais mieux de surveiller tes arrières quand tu es en public », peut-on lire dans un message.

D’après Saba Eitizaz, tout a commencé fin 2021, lorsqu’un homme politique d’extrême droite a appelé ses partisans à « faire des coups bas aux journalistes ». Puis la situation s’est aggravée avec le « Convoi de la liberté », dans un contexte de méfiance à l’égard des médias traditionnels.

« Maintenant, je redoute constamment d’ouvrir mes messages privés », confie-t-elle.

Originaire du Pakistan, cette journaliste explique avoir fui au Canada après avoir été ciblée par une « campagne malveillante similaire en ligne » lancée après ses reportages sur les droits de la personne. « Je suis venue ici pour ma sécurité », explique-t-elle.

Erica Ifill et d’autres personnes attribuent la montée de la haine à une multitude de facteurs : la polarisation politique, l’insécurité économique et une pandémie qui a forcé les gens à s’isoler, « assis chez eux devant leur ordinateur, effrayés et en colère ».  

Le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, a réagi sur Twitter : « les abus dont Rachel et d’autres journalistes ont été victimes […] sont odieux et inacceptables ».   

Les autorités sont réticentes à inculper les auteurs de ces actes, ont regretté plusieurs journalistes auprès de l’AFP.  

« Ils ne voient pas ces gens comme une menace », a expliqué Erica Ifill.  

Contactée, la police d’Ottawa n’a pas souhaité indiquer si des enquêtes avaient été ouvertes après des plaintes de journalistes, mais l’agent Mike Cudrasov a précisé que « les allégations de menaces sont prises au sérieux. »

Ottawa doit également dévoiler en 2023 une « loi sur la sécurité en ligne » qui a suscité chez certains l’espoir de freiner les mauvais comportements. De hauts fonctionnaires ont indiqué à l’AFP que ce sont les plateformes qui modéreront les contenus.