Quand l’argent n’est pas cher, les actifs le sont. Inversement, quand le coût de l’argent, lire le taux hypothécaire, s’accroît, la valeur des immeubles se corrige. Considérant que le taux fixe de 5 ans est passé de 2,50 à 5,50 % depuis le début de l’année, faut-il faire une croix sur l’investissement immobilier ?

Pas du tout, assure Jacques Lépine, véritable gourou de la brique et du mortier et fondateur du Club d’investisseurs immobiliers du Québec, lequel a formé plus de 35 000 personnes depuis sa création en 2001. Bon nombre de ses disciples lui doivent leur fortune.

La Presse a rencontré M. Lépine en septembre. Il fut question des perspectives du marché, des taux d’intérêt, de la pénurie de logements et des rénovictions.

« De 2002 à 2022, c’était fou, dit-il. N’importe qui dans l’immeuble a fait de l’argent, qu’il soit bon ou mauvais investisseur. Aujourd’hui, la vague s’est cassée. Les taux d’intérêt se sont mis à monter. La panique s’installe. »

À la question de savoir jusqu’où les taux vont monter, M. Lépine répond qu’il voit encore deux ou trois augmentations par la Banque du Canada avant une pause. Quant au taux hypothécaire de 5 ans, actuellement à 5,25 %, l’auteur de guides sur l’investissement immobilier les voit plafonner à 6 %.

Si les autorités monétaires laissent monter les taux plus haut, ils vont tous démolir l’économie.

Jacques Lépine, fondateur du Club d’investisseurs immobiliers du Québec

« Aux gens découragés, je dis : arrêtez ! On est dans une situation temporaire. Le Canada est la terre promise, croit l’investisseur optimiste. Regardez nos richesses naturelles, regardez l’eau qu’on a. C’est le prochain produit qu’il va manquer sur la planète. On a une bonne économie, on a une stabilité politique. »

Une « croissance extraordinaire »

« Le Canada est dans une situation privilégiée mondialement pour recevoir l’immigration, poursuit-il, et on va avoir une croissance extraordinaire en population. »

M. Lépine fait référence sans le nommer au groupe Initiative du siècle/Century initiative qui a pour objectif de mousser l’idée d’accroître la population canadienne à 100 millions de personnes d’ici l’année 2100. L’organisation, cofondée par Mark Wiseman (ex-BlackRock), a l’appui de libéraux et de conservateurs influents.

« Pour subvenir aux besoins de tout ce monde, ça prend tout ce qu’on a actuellement multiplié par trois », s’emballe-t-il.

Notre interlocuteur souligne que 450 000 nouveaux immigrants vont arriver au pays en 2023 et l’on manque déjà de logements. M. Lépine s’attend à un retour des programmes de subvention de la part des gouvernements pour stimuler la construction neuve.

« Le type de logement va se modifier, avance-t-il. On va faire des logements plus petits. Il va y avoir de la cohabitation avec une cuisine centrale et des appartements sans cuisine où on va partager des choses parce que le prix au pied carré va devenir trop cher », prédit celui qui a investi dans Boxabl, fabricant américain de maisons pliantes qui se vendent 100 000 $ l’unité.

« C’est positif, les rénovictions », selon Jacques Lépine

On ne pouvait pas rencontrer le fondateur du Club d’investisseurs immobiliers sans lui parler des rénovictions. Pauline Cauchefer, qui a fait la manchette cette année, a été formée au club créé par Jacques Lépine. Ce dernier l’a vendu à Yvan Cournoyer en 2016.

Lisez le portrait de Pauline Cauchefer

Ce que les organismes de défense des locataires appellent une rénoviction survient quand un investisseur achète un immeuble dont les loyers sont inférieurs au loyer marchand et qu’il convainc les locataires de résilier leur bail pour pouvoir entreprendre des travaux majeurs.

L’objectif est de pouvoir ensuite remettre l’appartement au prix du marché, ce qui fait bondir la valeur de son immeuble. Les locataires qui renoncent à leur droit au maintien dans les lieux finissent par payer bien plus cher dans leur nouveau logis.

Lisez l’article « Comment limiter les rénovictions »

« Derrière une rénoviction, il y a une augmentation de valeur du logement qui se traduit par une augmentation des taxes perçues par la Ville. Ça, on n’en parle jamais », déplore M. Lépine.

Il souligne également l’impact positif des rénovations sur la pérennité du parc de logements locatifs.

M. Lépine fait peu de cas de l’appauvrissement du locataire qui renonce à un loyer bon marché. « Il avait le choix de refuser », lance-t-il. Un propriétaire peut faire la vie dure à un locataire récalcitrant, lui fait-on valoir. Quand on le questionne sur la disparition des logements abordables causée par les rénovictions, il reconnaît le phénomène avant d’ajouter que c’est aux villes d’acquérir ou de construire un parc de logements sociaux en se servant de leur droit de préemption (premier refus).