Les attentes d’une accélération des hausses de taux d’intérêt s’amplifient à vue d’œil dans le secteur financier. De même que le risque d’un choc budgétaire parmi les emprunteurs hypothécaires qui, en nombre record depuis deux ans, ont contracté un prêt à taux variable pour amoindrir leurs paiements.

« Face à la hausse des prix en immobilier, de nombreux acheteurs se sont étirés au maximum dans leur capacité d’emprunt en misant sur des paiements moindres à court terme avec un prêt hypothécaire à taux variable très bas par rapport aux taux fixes », explique Patrick Dumond, directeur d’équipe chez la firme de courtage hypothécaire Multi-Prêts.

« Mais dans un contexte de remontée rapide des taux d’intérêt, poursuit-il, ces emprunteurs à taux variable risquent d’avoir de mauvaises surprises au cours des prochains mois, avec une hausse significative des coûts d’intérêt dans leurs paiements hypothécaires. »

Quelle ampleur auront ces hausses de taux ? Pour le moment, le consensus parmi les économistes du secteur financier fait état de deux hausses successives de 50 points de base (0,5 point de pourcentage chacune) lors des prochains énoncés de politique monétaire de la Banque du Canada, le 13 avril et le 1er juin prochain. Ensuite, une troisième hausse de taux est anticipée en juillet, mais d’une ampleur réduite à 25 points de base (0,25 %).

3 %

Taux d’intérêt anticipé à la fin de juillet sur les prêts hypothécaires à taux variable, soit 1,1 % de plus que celui offert ces jours-ci, et au double du taux disponible il y a six mois.

« Avec le récent changement de ton à la Banque du Canada, et la probabilité accrue de hausses de taux totalisant plus de 100 points de base (1 %) d’ici quelques mois, c’est maintenant le décollage vers une forte ascension des taux hypothécaires », avertit Robert Kavcic, économiste principal à la Banque de Montréal (BMO), dans son plus récent billet d’analyse du marché immobilier.

« Les prêts à taux fixes sur cinq ans ont déjà poussé vers 4 % ; tandis que les taux variables devraient dépasser la barre des 3 % d’ici le milieu de l’été, précise-t-il. Pour les emprunteurs hypothécaires qui ont budgétisé un taux affaibli pendant la pandémie, en particulier ceux qui sont passés à un taux variable encore plus bas, cette remontée abrupte des taux pourrait s’avérer un test financier sévère au cours des prochains mois. »

Les prêts à taux variable en vogue

Dans le marché des prêts hypothécaires, cette anticipation de hausses de taux se reflète déjà dans la grille des taux offerts par les principaux prêteurs au Canada.

Pour les prêts à taux fixe sur un terme de cinq ans, le taux moyen parmi les grandes banques s’affiche maintenant aux environs de 3,7 %, soit presque un point et demi de pourcentage (1,5 %) de plus qu’il y a un an.

Mais dans le marché des prêts à taux variable, la hausse de taux moyen parmi les grandes banques s’est limitée à un demi-point de pourcentage (0,5 %), aux environs de 1,95 %.

Par conséquent, l’écart de taux entre les prêts à taux variable et ceux à taux fixes, qui avait basculé à l’avantage des emprunteurs à taux variable en début de pandémie, il y a deux ans, s’est maintenu à un niveau attrayant pour les emprunteurs hypothécaires au budget limité.

45 %

Proportion record des prêts à taux variable parmi l’ensemble des nouveaux prêts hypothécaires au Canada mesurée en mi-année 2021 par la Société canadienne d’hypothèques et de logement, soit 20 points de plus que la proportion moyenne depuis huit ans.

« Ces emprunteurs qui sont allés vers un taux variable pour économiser sur les paiements à court terme et pouvoir ainsi se permettre d’entrer dans le marché immobilier, ça nous fait toujours un peu peur dans le secteur du courtage hypothécaire », confie Patrick Dumond, de Multi-Prêts.

« Avec un prêt de 350 000 $ à taux variable, par exemple, si l’écart de taux d’environ 1,5 % avec les taux fixes devait se résorber au cours des prochains mois, on parle d’un surcoût d’intérêt de l’ordre de 300 $ sur les paiements mensuels », explique M. Dumond.

« Pour les emprunteurs à taux variable dont le budget est déjà serré, ça pourrait être tout un défi financier, souligne-t-il. C’est pour ça qu’on leur conseille d’ajouter dès maintenant ce prochain surcoût d’intérêt dans leur budget courant. De façon à se constituer une réserve de liquidités pour réduire le risque que leur rêve accompli d’être propriétaire se transforme en cauchemar financier. »

Inquiétudes répandues

Les préoccupations de Patrick Dumond envers la vulnérabilité financière des emprunteurs à taux variable se retrouvent aussi parmi les économistes du secteur bancaire. Et ce, malgré l’instauration au Canada depuis deux ans d’un « taux de qualification » réglementaire pour les nouveaux prêts hypothécaires, soit le taux le plus élevé entre le taux d’intérêt contractuel majoré de 2 %, ou 5,25 % en taux minimum.

« L’endettement des ménages au Canada a augmenté à 186 % du revenu disponible et on estime que près de 50 % des nouvelles hypothèques sont liées à des taux variables. En fait, l’économie canadienne présente plus de risques liés à l’endettement des ménages que sa voisine du Sud », indiquent les économistes de la Banque TD dans un récent billet d’analyse de conjoncture.

« En raison des prix très élevés, les récents acheteurs de maisons au Canada sont beaucoup plus sensibles aux variations des taux d’intérêt qu’ils ne l’étaient il y a 10 ou 15 ans », signale pour sa part Robert Hogue, économiste principal à la Banque Royale (RBC) dans sa plus récente analyste du marché de l’habitation.

« Avec le risque d’une forte augmentation des versements hypothécaires à venir, chaque acheteur à travers le pays ressentira le pincement de la hausse des taux. Un tel choc pourrait stresser gravement les acheteurs de maison et exercer une pression à la baisse importante sur le marché de l’immobilier résidentiel. »