Leurs prix atteignent des sommets, mais les véhicules neufs continuent à trouver preneur. Avec résignation, par obligation ou à cause des affaires, les consommateurs continuent de se les procurer. Leur capacité de payer a cependant des limites, et on semble s’en rapprocher de plus en plus.

« On va le vivre, parce que les augmentations majeures viennent d’arriver sur les modèles 2024, souligne la directrice générale et associée de Beauport Hyundai et Genesis de Québec, Annie Laliberté. Les constructeurs font toujours face à une demande, donc ils mettent peu d’argent dans les programmes subventionnés (taux d’intérêt réduits, rabais, etc.). »

D’après l’indice des prix d’AutoHebdo, le prix moyen d’un véhicule neuf a atteint 67 418 $ en août dernier, en hausse de 20 % par rapport à la même période il y a un an. Ces données doivent être interprétées avec un grain de sel (voir autre onglet). Il n’en reste pas moins que la facture est de plus en plus salée.

Par exemple, la version à essence du Hyundai Kona 2024 se vend désormais au moins 25 999 $, comparativement à 22 649 $ pour la version 2023. On parle d’une augmentation de 15,8 %. Dans un contexte où la demande reste supérieure à l’offre, les constructeurs automobiles ont toujours le gros bout du bâton. Puisque les semi-conducteurs – composants que l’on retrouve dans des puces électroniques essentielles au fonctionnement de certains modules électroniques – restent difficiles à obtenir, on donne la priorité aux modèles les plus rentables, donc les plus chers.

Parallèlement, avec les années, les voitures sous-compactes, plus abordables pour les particuliers, comme les Fit (Honda) et Yaris (Toyota), sont moins nombreuses. Rien pour soulager le budget des consommateurs.

« Vous savez, les gens qui prennent le temps d’y penser avant d’acheter un véhicule, qui calculent une première fois, une deuxième fois et une troisième fois, je les comprends », lance Pascal Ste-Marie, propriétaire de Viau Ford à Saint-Rémi et vice-président de l’Association québécoise des concessionnaires du constructeur.

Chez ce concessionnaire situé sur la Rive-Sud, environ 70 % des ventes se font auprès de la clientèle d’affaires comme dans le secteur du génie civil, de l’ingénierie et de la construction. Dans ce créneau, explique M. Ste-Marie, l’activité reste vigoureuse. On est donc capables d’absorber la hausse des prix et des coûts de financement.

Mais du côté des particuliers, la pression monte. Les coûts de financement augmentent, et on échelonne de plus en plus la durée des paiements. Sous le couvert de l’anonymat, des concessionnaires, qui ont demandé à ne pas être identifiés par crainte de représailles, ont exprimé des préoccupations à La Presse.

Le manufacturier doit arrêter de penser que les vannes sont ouvertes et que le client va gober tout cela. Il faut rester sur le plancher des vaches.

Un concessionnaire sous le couvert de l’anonymat

Plus cher et plus longtemps

Un rapport publié en juillet dernier par la Corporation des associations de détaillants automobiles (CADA) soulignait qu’à la fin de 2022, le taux moyen de financement d’un véhicule atteignait 5,8 %. Le document a été rédigé en se basant sur des données compilées par la firme américaine J. D. Power.

Depuis le début de l’année, les taux d’intérêt ont poursuivi leur progression. Pour sa part, le montant moyen d’un emprunt atteignait 53 023 $ au quatrième trimestre de 2022, comparativement à 49 594 $ en 2021 et 42 359 $ en 2018.

PHOTO FOURNIE PAR LA CORPORATION DES CONCESSIONNAIRES AUTOMOBILES DU QUÉBEC

Ian Sam Yue Chi, président-directeur général de la Corporation des concessionnaires automobiles du Québec

« Au chapitre du financement, on en voit plus sur 84 mois (sept ans), souligne Ian Sam Yue Chi, président-directeur général de la Corporation des concessionnaires automobiles du Québec (CCAQ). Il y en a toujours eu, mais on en voit davantage. »

L’impact des taux d’intérêt va au-delà du prix de vente d’un véhicule neuf. Certains consommateurs ne s’en rendent pas compte, mais l’ajout d’une option au moment de l’achat peut avoir une incidence notable sur les coûts de financement. CAA-Québec donne l’exemple de jantes en alliage. À environ 800 $, elles coûteront 966 $ – soit 25 % de plus que le prix original – sur cinq ans à un taux d’intérêt de 9 %. Un pensez-y-bien.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

L’impact des taux d’intérêt va au-delà du prix de vente d’un véhicule neuf.

Le nombre de transactions est à la hausse dans l’industrie automobile, mais il n’a pas renoué avec son niveau d’avant la pandémie. Cela aussi joue sur les prix, puisque l’offre tarde à se rapprocher de la demande. Par exemple, en juillet dernier, 140 492 véhicules neufs ont été vendus au pays. C’est plus qu’en 2022, mais il s’agit d’un déficit d’environ 20 % par rapport aux 173 519 unités enregistrées à la même période en 2019.

« On est dans une croissance fictive des ventes actuellement, affirme M. Sam Yue Chi. On ne parle pas d’une croissance, mais d’une offre qui n’a pas atteint le niveau de demande. »

Signaux contradictoires

Pourquoi les particuliers s’intéressent-ils toujours aux véhicules neufs alors que le budget des ménages est de plus en plus sous pression ? Les raisons sont nombreuses et diffèrent d’une personne à l’autre, observe Charles Bernard, économiste principal à la CADA, en ajoutant qu’il n’y a pas de « vérité absolue ». Les coûts de financement augmentent, mais les « mieux nantis ont encore beaucoup d’épargne à leur disposition », dit-il.

« Certaines personnes qui étaient frustrées de ne pas pouvoir acheter pendant la pandémie le font maintenant, explique l’économiste. Il y a aussi des personnes qui ne peuvent pas attendre pour se procurer une voiture, elles passent donc à l’action. »

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Avec une hausse d’environ 25 % de l’emprunt moyen pour financer l’achat d’un nouveau véhicule entre 2018 et 2022, la pression s’accroît sur les particuliers.

L’économiste estime aussi que de nombreux consommateurs n’ont pas « une idée claire » de la direction dans laquelle l’économie se dirige. Ils sont mélangés, estime-t-il.

« Nous avons eu des témoignages de consommateurs qui trouvent que les véhicules sont chers et qui se disent que s’il y a une récession, les prix vont diminuer, donc ils attendent, résume M. Bernard. D’autres se disent : “cela fait un an que l’on dit qu’il va y avoir une récession et elle n’a pas encore eu lieu, donc ça me sert à quoi d’attendre ?” »

L’économiste concède que de plus en plus, le budget des particuliers est « étiré ». Avec une hausse d’environ 25 % de l’emprunt moyen pour financer l’achat d’un nouveau véhicule entre 2018 et 2022, la pression s’accroît sur les particuliers.

Même si la Banque du Canada vient de prendre une pause en choisissant de ne pas relever les taux d’intérêt, les augmentations précédentes risquent de continuer à avoir un impact au cours des « 12 à 18 prochains mois », croit M. Bernard. C’est au cours de cette période que l’on pourrait observer une modification des comportements.

En savoir plus
  • 7,61 %
    Taux d’intérêt moyen en juin dernier pour les avances de fonds pour des « prêts non hypothécaires », ce qui inclut les prêts automobiles.
    Source : Statistique Canada
    39 395 $
    Prix moyen d’un véhicule d’occasion en août dernier. Une hausse de 4,3 % sur un an.
    Source : AutoHebdo