Les saisons froides le sont de moins en moins depuis quelques années, ce qui force les détaillants à miser sur des vêtements plus légers et à entrer dans un mode printanier beaucoup plus tôt… dans l’hiver. Tour d’horizon.

Les habits de neige pour le ski alpin, les manteaux épais et les grosses bottes d’hiver doublées sont de plus en plus laissés à l’abandon sur les cintres et les présentoirs des magasins, gracieuseté d’un hiver exceptionnellement doux et, de façon générale, des changements climatiques. Les détaillants sont, par conséquent, à revoir leur plan de match.

Kanuk, marque québécoise reconnue pour ses manteaux conçus pour affronter des températures sibériennes, a l’intention de lancer des modèles plus minces de style mi-saison. Sports Experts a mis le pied dans le printemps trois semaines plus tôt cette année. Maguire, de son côté, mise sur les bottes non doublées à l’intérieur desquelles il est possible de glisser une semelle.

Ces détaillants dont les ventes dépendent en partie du climat nordique québécois reconnaissent qu’ils ont dû s’ajuster depuis les dernières années.

Si la saison « froide » cette année se classe plutôt dans le palmarès des « hivers exceptionnels », Paul-André Goulet, propriétaire de 10 magasins Sports Experts, note tout de même une certaine tendance.

Ça fait déjà quelques années qu’on a changé nos stratégies d’achats pour s’adapter aux changements climatiques. Ce n’est pas une vue de l’esprit. Il y a moins de certitudes en ce qui concerne le climat, ça devient plus difficile pour nous d’acheter des trucs en étant sûrs qu’on va les vendre.

Paul-André Goulet, propriétaire de magasins Sports Experts

Changement notable : perte de vitesse pour les ventes d’habits de neige pour le ski alpin. « Ce n’est pas multicouche, c’est assez chaud, c’est pour un seul sport. Ça, c’est en perte de vitesse sur un moyen temps. »

« Ce qu’on voit maintenant, précise-t-il, c’est que les gens investissent dans des vêtements de qualité, à usages multiples : un sous-vêtement thermal, un polar, un petit manteau duveté et une coquille. »

Canada Goose, fabricant de parkas de luxe, semble pour sa part avoir souffert de la douceur de l’hiver. En annonçant il y a quelques jours le licenciement de 17 % de son personnel, l’entreprise torontoise a reconnu que « des températures inhabituellement chaudes ont retardé le début de la saison d’achat de parkas », selon un article de La Presse Canadienne. « La première vague de froid stimule les affaires », avait déclaré le directeur financier Jonathan Sinclair, lors d’un appel avec les analystes le 1er novembre pour discuter des résultats financiers du deuxième trimestre de l’entreprise.

Du côté de Kanuk, la directrice du marketing, Véronique Blais, reconnaît que les « manteaux pour les températures de -30 °C, cet hiver, n’étaient pas les plus populaires ». L’entreprise de la rue Rachel à Montréal, qui n’a pas l’intention d’abandonner les modèles chauds qui ont fait sa renommée, travaille donc sur de nouvelles collections.

« On va avoir des collections plus mi-saison avec des manteaux pour des températures de 0 °C, -5 °C, -10 °C, indique-t-elle. Et on a développé des trois-en-un qui ont quand même bien fonctionné. C’est une catégorie que les gens peuvent porter l’hiver, l’automne et le printemps. »

À l’instar de M. Goulet, Véronique Blais a parlé à de nombreuses reprises de la polyvalence au cours de son entretien téléphonique avec La Presse, caractéristique que devront avoir les futurs manteaux et l’ensemble des vêtements hivernaux.

Même la façon de présenter les articles en magasin, communément appelée marchandisage, change. Au cours de l’hiver, dans les Sports Experts de M. Goulet, on a mis moins d’accent sur les raquettes à neige au profit des articles destinés au voyage comme les valises et les maillots de bain.

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Même la façon de présenter les articles en magasin change. Chez Sports Experts, l’accent a été mis sur les articles de voyage pendant l’hiver.

« C’est très imprévisible, ajoute-t-il. J’ai des réunions qui portent sur : qu’est-ce qu’on fait s’il n’y a pas de neige au mois de décembre ? Comment on gère le personnel ?

« On dirait qu’on s’en va vers un hiver qui ressemble plus à celui de New York depuis quelques années. »

À New York… comme au Québec

Et la douceur des hivers new-yorkais, Myriam Belzile-Maguire, cofondatrice avec sa sœur Romy des magasins de chaussures Maguire, a eu tôt fait de la vivre. Elle a vite compris que cette clémence hivernale aurait des effets sur son entreprise.

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Romy Belzile-Maguire et Myriam Belzile-Maguire, cofondatrices des magasins Maguire

Quand on a ouvert à New York [il y a quelques années], on est arrivées avec nos bottes d’hiver. C’était 50 % de notre chiffre d’affaires au Canada. On se disait que nous serions les seules à en avoir à New York. Mais on a réalisé qu’il ne neigeait pas vraiment à New York. Tout le monde nous demandait des bottes sans la doublure.

Myriam Belzile-Maguire, cofondatrice des magasins de chaussures Maguire

Maintenant, elle fait le même constat sur le marché canadien où elle compte une boutique à Montréal et une autre à Toronto. L’étoile de la botte doublée pâlit. « Ça fait deux ans qu’on voit que les hivers sont plus doux. On voit vraiment une diminution des achats de bottes d’hiver, soutient-elle. On a dû changer notre assortiment de produits à cause du réchauffement climatique.

  • Maguire mise sur des bottes non doublées à l’intérieur desquelles il est possible de glisser une semelle.

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    Maguire mise sur des bottes non doublées à l’intérieur desquelles il est possible de glisser une semelle.

  • Les souliers plats ont la cote toute l’année, « ce qui n’était pas le cas avant », explique Myriam Belzile-Maguire.

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    Les souliers plats ont la cote toute l’année, « ce qui n’était pas le cas avant », explique Myriam Belzile-Maguire.

  • En raison du réchauffement climatique, Maguire a dû revoir son assortiment de produits et privilégier ceux qui ont une vie flexible.

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    En raison du réchauffement climatique, Maguire a dû revoir son assortiment de produits et privilégier ceux qui ont une vie flexible.

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« C’est difficile pour beaucoup d’entreprises canadiennes qui sont spécialisées dans l’hiver parce qu’il ne fait plus assez froid pour justifier un achat de 800 $ pour un manteau ou de 300 $ pour une paire de bottes. On a changé notre offre de produits. Maintenant, ce qu’on vend toute l’année, ce sont des souliers plats. J’ai le même best-seller toute l’année, ce qui n’était pas le cas avant. »

Maguire vend également des bottes trois saisons dans lesquelles on peut insérer une semelle pour plus de chaleur par temps froid. « On a un fournisseur qui nous fait une botte non doublée et qui fait des semelles de mouton sur mesure pour aller dans cette botte-là. On essaie de privilégier les produits qui ont une vie flexible. »

« Les arbres nous parlent, conclut Paul-André Goulet. Si les arbres commencent à couler au début de février, évidemment, en magasin on suit. On va toujours là où nos clients veulent être. »