Tous les vendredis, une personne du monde des affaires se dévoile dans notre section. Cette semaine, le cofondateur et PDG de Léger Jean-Marc Léger répond à nos questions.

Quelles sont votre meilleure et votre pire habitude ?

Ce n’est jamais facile de répondre à cette question-là. Moi, ce que je dis, c’est que ma meilleure et ma pire habitude, c’est la même chose. Je suis très organisé, très « focus ». Ça, c’est moi, ma grande qualité. Mon défaut, c’est que je suis très « focus » aussi. Essaie de me faire sortir de ce que j’ai en tête ! Ce n’est pas facile.

Quel mot ne pouvez-vous plus supporter ?

Le mot « non ». J’ai beaucoup de difficulté avec ça. Moi, je vais toujours trouver une solution. C’est ça, mon métier. Alors quand quelqu’un me rappelle et me dit non, j’ai de la difficulté. On va trouver une manière différente. J’utilise en affaires une expression de Nelson Mandela que j’ai modifiée : « Tu sais, en affaires, on ne perd jamais, on gagne ou on apprend. » Dans notre métier, comme sondeur, comme chef d’entreprise, quand j’ai des obstacles, il faut toujours trouver une solution. Je fais affaire avec des clients. Quand le client dit non, je veux comprendre pourquoi, ce qu’il y a derrière. Il faut que je convainque le client.

Quel conseil êtes-vous heureux d’avoir ignoré ?

Quand je suis entré dans le métier, la première chose qu’on m’a dite, c’est : « Le client a toujours raison. » Ce n’est pas vrai. Quand il n’a pas raison, tu lui expliques pourquoi, qu’il soit d’accord ou pas. Et aujourd’hui, ce qui est le fun, c’est que je refuse des clients, des gens avec qui je ne veux pas travailler parce qu’ils me disent : « Regarde, je veux faire le questionnaire de telle manière. » Et je sais qu’il y a des clients qui sont vampirisants. Avec plusieurs, je leur ai donné le numéro de téléphone d’un concurrent. Les pires clients, ce sont ceux qui ne s’y connaissent pas du tout. Ils veulent une étude de marché, mais ils ne savent pas ce qu’ils veulent faire.

Quel conseil donneriez-vous à la version plus jeune de vous ?

C’est le conseil que j’ai reçu de mon père. J’ai créé l’entreprise avec mon père en 1986. Mon père était connu à l’époque, c’est grâce à lui si j’ai l’entreprise aujourd’hui. Mais il est décédé en 1993 et on était associés à 50-50. D’ailleurs, j’étais plus le père et lui le fils, il était plus délinquant que moi, qui étais organisé à fond. Il m’a donné un conseil : « Fais toujours attention à ceux que tu rencontres quand tu vas grimper dans la société, parce que tu vas rencontrer les mêmes personnes quand tu vas redescendre. » C’est un bon conseil parce que faire affaire au Québec, c’est un milieu qui est petit. Il faut que tu fasses attention à ceux que tu rencontres parce que forcément, tu vas les revoir quelque part. Puis il y a un élément d’humilité. Ce conseil-là m’a aidé beaucoup.

Y a-t-il un moment où votre carrière a basculé ?

Il y a eu plein de moments, mais, forcément, il y en a un qui est un peu plus émotif. Avant la mort de mon père, on a signé notre plus gros contrat, 2,5 millions avec Santé Québec. C’était en 1992, ça faisait six ans qu’on avait créé l’entreprise et là, on passait dans les ligues majeures. Là, j’ai eu un repas avec mon père, pour qui ce n’était habituellement jamais assez, pour qui il fallait toujours aller plus loin. Et là, ce soir-là, c’est totalement l’inverse : « On a réussi ! », qu’il me dit. Quand on a commencé le mandat, trois jours plus tard, il est décédé.

Quelle activité physique faites-vous ?

Moi, je m’entraîne tous les jours, c’est mon exutoire. Des fois, je suis installé à la maison avec un écran et je m’entraîne. Depuis un an, je fais beaucoup de marche rapide à l’extérieur. J’ai besoin de m’aérer.

Combien de temps prenez-vous pour dîner au travail ?

Je prends 30 ou 45 minutes. Souvent, quand je suis à la maison, trois jours par semaine, je vais écouter un documentaire en même temps. Un documentaire archéologique, souvent, j’aurais aimé être archéologue, mais ce n’est pas un métier très payant.

Quelle est votre plus belle erreur ?

J’ai fait ma première acquisition à Toronto en 2000, j’ai fait toutes les erreurs possibles et impossibles. Tout ce qu’il ne faut pas faire pour une acquisition, je l’ai fait. Mauvais partenaire, mal évalué, payé trop cher. Il y avait trop de zones grises. Depuis le temps, j’ai fait 14 acquisitions. Actuellement, au moment où on se parle, je discute avec 22 entreprises. S’il y a acquisition, tout est mis par écrit. « Voici les 10 choses qui vont changer », « le nom va changer », « voici les objectifs pour les trois prochaines années ». Tout est clair.

Votre meilleur investissement ?

Un des secrets de l’entreprise, c’est qu’on a instauré ici un programme de partage des profits. Ça veut dire que tous les employés connaissent tous les trois mois les résultats financiers de l’entreprise. Et à partir du moment où on atteint le niveau qui est demandé, le reste est redistribué aux employés avec une certaine limite. Ça crée un impact considérable dans l’entreprise. On a un taux de roulement de 1,8 %. La personne qui est à la réception en bas, le programme de partage des profits, elle y pense, parce que c’est son boni à la fin de l’année.

Avez-vous ou avez-vous eu un mentor ?

J’en ai un, je lui parle toutes les semaines. C’est Pierre Weill, quelqu’un d’assez extraordinaire, le fondateur et président d’une des plus grosses boîtes de sondage au monde, TNS Sofres. Je l’avais rencontré à New York à l’époque, il essayait de m’acheter. Quand j’arrive, il me dit : « Asseyez-vous. Vous avez une belle entreprise. On aimerait l’acheter. » Ma réponse : « Je suis bien content. Moi, je voudrais acheter la vôtre. » On est devenus des amis, il a 86 ans. J’étais en France il y a trois semaines et je mangeais avec lui tous les jours. Il aime beaucoup l’esprit entrepreneur du français en Amérique, il a toujours un regard différent, il a fait ce par quoi je suis passé, il a fait une cinquantaine d’acquisitions dans sa vie. Je lui ai déjà demandé : « Si c’était à refaire, feriez-vous les mêmes choses ? » Il m’a dit : « Je ferais exactement les mêmes choses, mais plus rapidement. »

Un bon patron, c’est quelqu’un qui…

C’est quelqu’un qui s’entoure des meilleurs dans l’industrie. Les acquisitions qu’on a faites, on n’achète pas des meubles ou des immeubles, on achète du talent. J’ai compris très vite ce que je n’aime pas faire, et il y a une relation entre ce que je n’aime pas faire et ce en quoi je ne suis pas bon. Alors je suis allé chercher autour de moi des gens qui sont meilleurs que moi.