Hydro-Québec était justifiée de faire valoir son opinion sur les réseaux sociaux dans le débat sur l’inclusion qui divise la société, estiment des spécialistes de la communication, mais la société d’État aurait pu s’empêcher d’argumenter longuement avec ses détracteurs.

Vincent Fortin, président de l’agence de publicité Republik, Jessica Darveau, professeure au département de marketing de l’Université Laval, et Jean-Jacques Stréliski, professeur associé au département de marketing de HEC Montréal, croient qu’une entreprise de la taille et de l’envergure d’Hydro-Québec a tout à fait le droit de faire connaître ses convictions et ses valeurs.

La publication d’Hydro-Québec en appui à la communauté LGBTQ+, jeudi dernier, a suscité une levée de boucliers de lecteurs – et de clients – qui lui ont vertement conseillé de se concentrer sur son rôle de producteur et de distributeur d’électricité plutôt que se mêler d’un débat éminemment politique et clivant.

« C’est un peu réducteur de dire que les entreprises ne peuvent pas prendre position dans un enjeu moderne comme celui-là », dit Vincent Fortin. Une entreprise comme Hydro-Québec, qui a 25 000 employés, en a certainement qui font partie de la communauté LGBTQ+, et c’est normal qu’elle s’intéresse à la question de l’inclusion, selon lui.

Cela dit, tout est dans le ton utilisé, ajoute-t-il. « Il faut voir comment c’est fait. »

Les gestionnaires des réseaux sociaux d’Hydro-Québec se sont fait une réputation en argumentant avec leurs interlocuteurs, une méthode que Vincent Fortin qualifie de « très raide ».

« Ça peut être divertissant, mais dans la tonalité, il y a peut-être des limites », estime-t-il. Il note au moins une maladresse dans une des interventions des gestionnaires de communauté d’Hydro-Québec, qui se sont vantés du fait que « les personnes derrière ce compte ont de nombreux diplômes universitaires ».

« Tu as le droit d’avoir une opinion même si tu n’as pas un diplôme universitaire », relève-t-il.

Jessica Darveau souligne aussi que les gestionnaires des réseaux sociaux d’Hydro-Québec sont allés un peu loin dans l’argumentation, après avoir fait passer leur message. « Si j’avais quelque chose à critiquer, ce serait ça », dit-elle.

« La violence et l’intolérance sont à vomir », ont notamment opposé les porte-parole d’Hydro-Québec à leurs critiques.

Des risques de dérapage

Les entreprises prennent des risques quand elles s’aventurent sur les réseaux sociaux, souligne de son côté Jean-Jacques Stréliski. « Ça peut déraper », dit-il, particulièrement quand le sujet est aussi « touchy ».

Selon lui, la stratégie d’Hydro-Québec sur les réseaux sociaux « a été assez payante », jusqu’à maintenant, particulièrement avec la clientèle plus jeune. Dans ce cas-ci, il y a peut-être eu « un égarement », ajoute-t-il.

La prise de position des entreprises dans le débat public est dans l’air du temps.

On appelle ça l’activisme de marque et même quand c’est fait avec les meilleures intentions, ça vient toujours avec des risques.

Jessica Darveau professeure au département de marketing de l’Université Laval

Le risque, c’est de s’aliéner une partie de sa clientèle, dit-elle, et ça peut aller jusqu’au boycottage de produits. C’est ce qui est arrivé à la Budweiser Light dont l’association avec une influenceuse transgenre a suscité la colère d’une partie de la droite conservatrice, qui a appelé au boycottage. La Bud Light a perdu le titre de bière la plus vendue aux États-Unis, et les revenus de l’entreprise ont chuté.

Rien de tel ne guette Hydro-Québec, qui est un monopole et qui ne peut pas perdre de clients. Hydro-Québec ne perd pas de clients à la suite de cette controverse, « mais elle gagne des détracteurs », estime Mme Darveau.

La société d’État peut perdre de la crédibilité auprès de certaines personnes et ça peut faire une différence sur le plan commercial, croit pour sa part Vincent Fortin. « Si les gens ont un sentiment négatif envers Hydro-Québec, ils vont être moins sensibles à son discours, par exemple sur les économies d’énergie », illustre-t-il.