(Londres) L’éviction surprise du patron de BP Bernard Looney pose de nombreuses questions sur d’éventuels changements de stratégie ou de possibles autres mauvaises nouvelles de gouvernance au sein du géant pétrolier et gazier britannique.

Mercredi, l’action a clôturé en baisse de 2,79 % à 508,20 pence à la Bourse de Londres, dans un marché à l’équilibre.

Les investisseurs digéraient l’annonce mardi soir de la « démission » avec « effet immédiat » de l’ex-directeur général pour avoir manqué de transparence sur des relations intimes passées avec des collègues.

Il est resté moins de quatre ans aux commandes de la « major » pétrolière, l’un des plus grands noms du monde des affaires britanniques.

Richard Hunter, analyste de Interactive Investor, remarque que « comparé aux amendes de milliards de dollars qui ont suivi la marée noire de Deepwater Horizon ou aux prix pétroliers négatifs pendant la pandémie, […] cette démission est une surprise mais pas un chapitre majeur dans l’histoire de BP ».

« Il y aura inévitablement des incertitudes sur l’intervalle requis pour trouver un dirigeant permanent » ou sur un éventuel changement dans la stratégie, ajoute-t-il.

Sophie Lund-Yates, analyste chez Hargreaves Lansdown, souligne pour sa part que « des erreurs de cette ampleur ne sont pas ce qu’on attend de l’un des plus grands patrons du pays ».

« Une direction claire doit être proclamée rapidement pour limiter l’impact négatif » sur l’entreprise et son action, poursuit-elle.

Le directeur financier Murray Auchincloss assure l’intérim pendant la recherche d’un remplaçant permanent. « Les fondamentaux n’ont pas changé », a-t-il assuré mercredi dans un message au personnel.

« Notre stratégie n’a pas changé. Et nous restons concentrés sur la performance, trimestre après trimestre », a-t-il ajouté, soulignant que l’équipe de direction conserve « le plein soutien du Conseil d’administration » pour continuer de mettre en œuvre son plan.

Bernard Looney peut notamment être crédité d’avoir mené l’un des plus grands groupes britanniques à travers les méandres de la pandémie, qui a provoqué l’effondrement des cours du pétrole et de l’activité économique.

Enquête en cours

L’invasion russe de l’Ukraine, à l’inverse, a fait flamber les cours des hydrocarbures et gonflé les comptes des compagnies pétrolières, mais s’est traduite par une sortie des activités en Russie et une charge comptable colossale de plus de 24 milliards de dollars.

D’origine irlandaise, Bernard Looney était entré à BP comme ingénieur en 1991 et y a fait toute sa carrière, occupant divers postes opérationnels et de direction dans plusieurs pays, dont les États-Unis, le Vietnam ou le Royaume-Uni.

Le départ de M. Looney survient dans la foulée d’une vague de démissions ou d’évictions dans le monde des affaires britanniques pour des comportements sexuels répréhensibles, notamment au sein de la plus grande organisation patronale britannique, la CBI.

Comme le remarque Russ Mould, analyste chez AJ Bell, une enquête interne est toujours en cours et « l’inquiétude qui plane » est que les révélations de mardi soir soient le symptôme de « problèmes plus vastes avec la culture d’entreprise au sein de BP ».  

Les analystes s’interrogent aussi sur ce que le départ de M. Looney pourrait signifier pour la stratégie environnementale du groupe.  

M. Looney avait commencé son mandat en promettant de conduire le géant pétrolier et gazier vers la neutralité carbone, avant une volte-face en février, face à la pression des actionnaires devant un cours de Bourse qui n’a pas retrouvé son niveau d’avant la pandémie et à la traîne comparé à ses concurrents.  

BP a alors indiqué qu’il comptait accroître ses bénéfices d’ici à 2030 en investissant davantage à la fois dans les énergies renouvelables et dans les hydrocarbures.

Profil inhabituel dans le secteur pétrolier, Bernard Looney incarnait une certaine modernité en alimentant régulièrement son compte Instagram pour décrire les politiques du géant énergétique, notamment en manière de diversité, ou pour chroniquer ses rencontres avec des personnels du groupe à travers la planète.

David Hewitt, analyste de Liberum, avance que le départ brusque de M. Looney pourrait donner à BP une « opportunité pour devenir la première “major” pétrolière à nommer une femme comme directrice générale ».

Le conseil d’administration doit encore décider quel sera l’impact éventuel sur la rémunération de M. Looney de son départ précipité pour des manquements à ses obligations de transparence.

Celle-ci avait plus que doublé l’an dernier, à 10 millions de livres (11,3 millions d’euros), dans la foulée de la flambée des prix des hydrocarbures, ce qui avait généré des critiques, au regard de la crise du coût de la vie au Royaume-Uni.