Un an après la clôture d’une ronde de financement de près de 200 millions de dollars canadiens devant soutenir une « expansion rapide » au Canada et aux États-Unis, l’entreprise montréalaise RenoRun se protège de ses créanciers avec une dette d’environ 50 millions auprès de dizaines de créanciers, le plus important étant Investissement Québec, à 14 millions.

Investissement Québec a cru dans la plateforme spécialisée dans la vente et la livraison de matériaux de construction aux entrepreneurs en y investissant à deux reprises : la première fois à l’été 2021, la seconde en 2022, pour un total de 14 millions en équité et notes convertibles.

Investissement Québec fait d’ailleurs partie d’un groupe d’investisseurs ayant travaillé récemment à trouver une solution pour mettre en place un nouveau financement.

« Malheureusement, l’entreprise et ses investisseurs n’ont pu identifier une formule qui convienne à toutes les parties », indique à La Presse la porte-parole d’Investissement Québec, Isabelle Fontaine.

« Bien que nous ne commenterons pas publiquement les détails des discussions qui ont eu lieu pour en venir à cette conclusion, nous pouvons cependant confirmer que toute décision d’investissement ou de réinvestissement est faite dans l’objectif de favoriser le développement économique du Québec et la saine gestion des deniers publics », précise-t-elle.

Nous faisons tout en notre pouvoir pour appuyer nos entreprises en portefeuille pour les aider à croître, et nous le faisons toujours en complémentarité avec nos partenaires de l’écosystème financier. Ce fut le cas avec RenoRun.

Isabelle Fontaine, porte-parole d’Investissement Québec

Aux prises avec des difficultés financières, RenoRun a déposé cette semaine un avis d’intention de faire une proposition en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.

Un document à cet effet vient d’être présenté au Bureau du surintendant des faillites du ministère de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique du Canada. Deloitte agit comme syndic au dossier.

Il n’a pas été possible de parler, mercredi, à un membre de la direction de RenoRun et personne ne répondait aux appels au numéro mis à la disposition des clients-entrepreneurs.

À fond la caisse

RenoRun semblait pourtant avoir le vent dans les voiles à la même période l’an dernier. L’entreprise annonçait il y a un an avoir récolté 142 millions US dans une ronde de financement menée par la firme d’investissement new-yorkaise Tiger Global Management, avec la participation, notamment, d’Investissement Québec, du Fonds pour les femmes en technologie de la BDC, Desjardins Capital, Nicola Wealth et Exportation et développement Canada.

Des investisseurs existants de RenoRun comme Inovia Capital, Real Ventures et Silicon Valley Bank avaient aussi participé à ce financement. Des cadres de l’entreprise Sonder et les fondateurs de Marché Goodfood avaient quant à eux agi comme investisseurs stratégiques dans l’opération.

Joint par La Presse, Chris Arsenault, d’Inovia, n’a pas souhaité réagir. « Nous nous abstenons de tous commentaires afin de ne pas nuire aux procédures en place », a-t-il simplement répondu.

Depuis l’obtention de ce financement, RenoRun – qui comptait alors 500 employés – a procédé à plusieurs vagues de mises à pied.

Après avoir remercié 12 % de son effectif l’été dernier, soit 72 employés, la direction a annoncé à la fin du mois d’octobre le licenciement de 43 % de son effectif, soit 210 employés, dont 80 au Québec. RenoRun a aussi remercié 53 employés le mois dernier.

Pour expliquer les ennuis, le fondateur et PDG Eamonn O’Rourke avait indiqué à La Presse l’automne dernier que si l’entreprise avait plus que doublé ses ventes chaque année depuis cinq ans, le contexte commercial avait « fondamentalement » changé durant l’année 2022, faisant référence à l’incertitude macroéconomique.

Il disait tenter de positionner l’entreprise pour l’« inévitable » reprise qui viendrait une fois que l’incertitude entourant les dépenses des consommateurs se dissiperait.

Anticipant une récession, Eamonn O’Rourke estimait que la tempête pourrait durer de 12 à 24 mois, que la croissance n’était plus prioritaire et que RenoRun devait atteindre la rentabilité plus rapidement que prévu.

Présence au sud de la frontière

Fondée il y a six ans, RenoRun avait développé une présence dans six marchés (Montréal, Toronto, Boston, Chicago, Philadelphie et Washington). D’autres marchés devaient s’ajouter. Une inscription en Bourse faisait partie de ses projets.

Travaillant avec des fabricants et des distributeurs pour fournir à ses clients du bois d’œuvre, du gypse, de l’isolant, de la quincaillerie, des portes, de la peinture, etc., RenoRun a bâti son modèle d’affaires en soutenant pouvoir livrer la journée même.

RenoRun avait profité d’un vent de dos durant la pandémie alors que les contraintes de la chaîne d’approvisionnement et les retards dans la livraison de matériaux de construction donnaient des maux de tête aux entrepreneurs. L’entreprise s’attendait à ce que le contexte continue de représenter un défi pour les entrepreneurs.

Silicon Valley Bank et la firme privée d’investissement Triple Point Capital sont les seuls créanciers garantis, pour des sommes de 2,7 millions et 4 millions respectivement.