Suncor, Rio Tinto et Groupe CRH Canada — trois des plus grands pollueurs de la province — font partie d’un petit groupe d’entreprises qui se partagent 20 millions en subventions pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). L’aide financière du gouvernement Legault fait sourciller le titulaire de la chaire en énergie de HEC Montréal Pierre-Olivier Pineau.

« Ce qui me scandalise, ce n’est pas tant les subventions, mais la manière dont cela se passe, affirme le professeur. On parle d’entreprises qui bénéficient déjà d’allocations gratuites (droits de polluer). On leur donne de l’argent pour réduire leurs émissions de GES pour lesquelles elles ne payent presque rien. »

L’argent a été distribué par l’entremise de décrets — avant de faire l’objet d’annonces par communiqués, mercredi — et provient de la Mesure d’aide pour la décarbonation du secteur industriel québécois (MADI), dotée d’une enveloppe de 48 millions. Elles accaparent donc plus de 60 % du budget.

Ce programme est présenté par Québec comme une « mesure transitoire » alors que leurs droits de polluer seront réduits de manière accélérée. Il consiste à financer une étude « technico-économique » de réduction des émissions de GES, des projets concrets ou des innovations technologiques.

« Les entreprises, particulièrement les grands émetteurs soumis à la réglementation du marché du carbone, ont un rôle crucial à jouer dans l’atteinte des cibles climatiques québécoises, a souligné Benoît Charette, ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, dans une déclaration. C’est pourquoi notre gouvernement travaille étroitement avec les grandes entreprises, afin de soutenir leurs efforts pour qu’elles réduisent plus rapidement leurs émissions de GES. »

Chez Québec solidaire, on voit les choses d’un autre œil. Sa porte-parole en matière d’environnement, Alejandra Zaga Mendez, croit qu’il est temps d’imposer de « serrer la vis » aux grands pollueurs qui échappent « à leurs responsabilités ». « Ces entreprises profitent déjà de “droits de polluer” gratuits qui couvrent la quasi-totalité de leurs émissions de GES, et pourtant, celles-ci ne diminuent pas », affirme-t-elle, dans une déclaration.

Des questions

Si l’argent s’apprête à être distribué, il n’a pas été possible de savoir, mercredi, quels étaient les projets qui seraient déployés parmi les entreprises qui seront aidées par le gouvernement Legault. Celui-ci n’a pas été en mesure d’offrir de détails et les six entreprises n’ont pas répondu aux questions de La Presse. Dans le cas de Rio Tinto Alcan, il s’agit de la réalisation d’études.

Pour le professeur Pineau, l’objectif de la MADI rate la cible.

« Le secteur industriel québécois a émis plus de 22 millions de tonnes de GES en 2012 et c’était plus de 23 millions en 2021, souligne-t-il. On veut les réduire, mais elles ont augmenté. On devrait arrêter de donner des cadeaux à des compagnies qui en ont déjà eu, mais soutenir celles qui ont du potentiel. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Pierre-Olivier Pineau est titulaire de la chaire de gestion en énergie, à HEC Montréal.

Ce dernier s’explique mal comment on peut aider une entreprise comme Suncor, qui exploite une raffinerie montréalaise, alors qu’à long terme, l’objectif est éventuellement de cesser de consommer ses produits. Il y a un « côté absurde » à la démarche, croit M. Pineau.

La page du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs consacre une page entière à la MADI. Une section est consacrée à la « reddition de compte » pour les compagnies qui obtiendront des subventions. Elle s’effectuera cependant entre le Ministère et la compagnie.

« Cela pourrait être plus transparent, estime M. Pineau. Le problème est qu’il n’y a pas de vérification indépendante. Tout se passe entre l’entreprise et le Ministère. Il faut un programme avec des normes et il faut bien comprendre les objectifs. Qui va vérifier s’ils ne sont pas atteints ? »

Au total, c’est 54 entreprises qui sont admissibles à une aide financière de la MADI.

En savoir plus
  • 30 %
    Proportion des émissions de GES totales qui émanent du secteur industriel.
    gouvernement du Québec