(Danville) Le projet de construction d’une usine de transformation de magnésium à partir de résidus miniers de l’amiante sur le site de l’ancienne usine Magnola dans les Cantons-de-l’Est progresse à bonne allure. On n’y produira pas que du magnésium vert, mais on va y faire de la multiple transformation avec une production de silice amorphe et de nickel-cobalt pour alimenter la filière des batteries de véhicules électriques. Une résurrection industrielle prévue pour 2025, nous explique le nouveau PDG d’Alliance Magnésium, François Perras.

Alliance Magnésium a été créée en 2012, lorsqu’un groupe d’investisseurs et de développeurs a racheté les haldes (amoncellements de déchets) de l’ancienne usine Magnola de la société Glencore, qui avait fermé le site de Danville en 2003, incapable de faire concurrence aux producteurs chinois, responsables de 85 % de la production mondiale de magnésium.

L’an dernier, Alliance Magnésium a lancé la production de magnésium secondaire dans une fonderie de démonstration construite sur le site où l’on recycle des produits pour en faire des lingots.

« À partir de janvier, on devrait être en mesure d’atteindre notre vitesse de croisière et de transformer 600 tonnes de magnésium par mois dans la fonderie, mais on prévoit démarrer le vrai projet au deuxième trimestre de l’an prochain avec la construction d’une nouvelle usine.

On va produire 25 000 tonnes de magnésium primaire, à partir des résidus de l’ancienne mine d’amiante de Val-des-Sources [anciennement Asbestos], et 12 000 tonnes de magnésium secondaire, fabriqué à partir du recyclage.

François Perras, PDG d’Alliance Magnésium

Comment Alliance Magnésium entend-elle réussir à rentabiliser une usine de magnésium alors que d’autres qui ont tenté de le faire avant elle ont lamentablement échoué ?

L’entreprise norvégienne Norsk-Hydro a fermé en 2007 son usine de Bécancour qu’elle avait construite à grands frais en 1986 et Magnola – une coentreprise de Noranda et de la Société générale de financement (Investissement Québec) – a fermé boutique en 2003 après avoir investi plus de 1 milliard dans son usine de transformation de magnésium de Danville.

Nouveau contexte, nouveaux enjeux

« Le contexte a vraiment changé. Norsk-Hydro ne contrôlait pas sa matière première, elle l’achetait de la Chine, qui lui vendait cher pendant qu’elle vendait son magnésium au rabais sur le marché nord-américain.

« De son côté, Magnola ne contrôlait pas sa technologie et n’a jamais pu optimiser sa production, alors qu’elle aussi a été victime du dumping chinois », rappelle François Perras.

Alliance Magnésium met en branle son projet dans un tout nouvel environnement au moment où on souhaite raccourcir les chaînes d’approvisionnement et où on veut surtout réduire au minimum son empreinte carbone.

« On ne fait pas d’extraction minière, on réhabilite un site où on recycle des résidus miniers. Il y a 120 millions de tonnes de haldes minières qu’on va pouvoir recycler. On prévoit en transformer 120 000 tonnes par année. On a un actif pour plusieurs générations. »

On va être le producteur qui a la plus faible empreinte carbone dans le monde. L’hydro-électricité compte pour 70 % de nos besoins énergétiques et on prévoit éventuellement utiliser du gaz naturel renouvelable, pour remplacer le gaz naturel.

François Perras, PDG d’Alliance Magnésium

Tous les fabricants du monde doivent décarboner leur chaîne d’approvisionnement et le magnésium vert québécois leur permettra de contribuer à l’amélioration de leur bilan.

Le magnésium est 75 % plus léger que l’acier et 33 % plus léger que l’aluminium. Il est utilisé par les constructeurs automobiles, les transformateurs d’aluminium pour fabriquer des cannettes, l’industrie aéronautique et le secteur militaire.

La polarisation grandissante avec la Chine forcera de nombreux manufacturiers à trouver d’autres fournisseurs.

« La consommation nord-américaine de magnésium est de 180 000 tonnes par année. Il y a un seul producteur américain, US Magnesium, qui est en arrêt de production depuis un an. Il y a donc une demande. L’Europe aussi consomme 180 000 tonnes annuellement et n’a pas de producteur et compte essentiellement sur la Chine », précise François Perras.

Transformation multiple et partenaires financiers

L’usine que va démarrer Alliance Magnésium vise une transformation multiple. En plus du magnésium, le procédé industriel permettra de produire de la silice amorphe, utilisée dans la fabrication des pneus, du béton, des vitres d’écrans d’ordinateurs et de téléphones… et du nickel-cobalt, nécessaire à la fabrication de batteries pour véhicules électriques.

« On va utiliser la serpentine d’amiante que l’on fait fondre avec le chlore pour fabriquer 40 000 tonnes de silice amorphe par année et dans le processus, on va récolter dans une deuxième étape des gâteaux de fer avec une forte concentration de nickel-cobalt.

Comme ces produits seront à très faible empreinte carbone, ça va intéresser les fabricants de produits à l’utiliser pour assainir leur chaîne d’approvisionnement.

François Perras, PDG d’Alliance Magnésium

La construction et le démarrage de l’usine d’Alliance Magnésium nécessiteront des investissements de plus de 1,5 milliard. Les actionnaires actuels qui ont investi 85 millions dans le projet-pilote depuis 2012 sont la firme québécoise d’investissement Alternative Capital Group (37 %), Investissement Québec (14 %), un distributeur japonais de magnésium (13 %), Fondaction (9 %) et quelques actionnaires privés.

« On est en ronde de financement et on a approché des investisseurs financiers spécialisés dans le secteur et des clients potentiels [fabricants d’autos et d’ordinateurs/téléphones] et d’autres usagers comme des producteurs d’aluminium qui ont besoin de magnésium. On prévoit clore le financement d’ici le milieu de 2023 », précise François Perras.

En poste depuis le début du mois de novembre comme nouveau PDG d’Alliance Magnésium, François Perras est convaincu du succès du projet auquel il s’est associé.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Vue des haldes de résidus miniers de l’ancienne mine Jeffrey qui serviront à la production de magnésium

Ingénieur métallurgiste de formation, titulaire d’un MBA, il a été chef de cabinet du bureau de direction au siège social d’ArcelorMittal, au Luxembourg, avant de revenir au Québec où il a occupé différentes fonctions dans la multinationale de l’acier.

Il était depuis cinq ans le PDG d’ArcelorMittal Produits Longs Canada, qui exploite neuf usines de transformation de l’acier, dont les complexes de Contrecœur, Longueuil et Montréal, qui emploient 2000 personnes et réalisent un chiffre d’affaires de 2 milliards tout en affichant une très bonne rentabilité.

« On va permettre l’approvisionnement local en magnésium tout en contribuant à la décarbonation de l’économie et à la valorisation de déchets miniers. On ne peut plus toujours exploiter la terre pour en extraire des minéraux, il y a des limites. Nous, on revitalise un vieux site en développant plusieurs portfolios de produits. C’est un projet emballant, m’a dit mon fils de 13 ans. »